Aquí siam lo monde réunit les cultures de Provence à Aubagne

Le film de l'événement est disponible à la fin de cet article


AUBAGNE / MARSEILLE. Au sens très noble du terme, cette manifestation populaire a voulu la rencontre de toutes les cultures musicales présentes en Provence. Et si la musique était bonne, l’état d’esprit lui était excellent. Quant à la langue occitane, elle s’est fait entendre aux meilleurs moments.



Environ deux mille personnes ont créé "Aqui siam lo monde" (photo MN)
Sur douze notes à la fois apaisantes et entraînantes deux mille voix s’élèvent pour chanter : « Lo monde es aqui e aqui siam lo monde…cotria dansarem, caminarem ensems ».
 
Devant la scène un groupe de musique de rue d’inspiration brésilienne, toutes et tous vêtus de rouge lèvent leurs baguettes à tambour, rouges et jaunes, et les font claquer l’une contre l’autre en mesure. 
 
Des enfants continuent leur conversation pendant que la peau des tambours est caressée, puis percutée par les capoeiristes.
 
Le rythme du chant s’intensifie, on était parti au pas on finit au pas de course, pendant que les chanteurs d’un jour se sentent des envies de remuer les hanches. Enfin, un grand « bravo ! » accompagné d’un « ouaiiiis ! » géant clot ce moment particulier de l’année 2013.

"Quelque chose s'est passé"

Foule et ambiance étaient au rendez-vous (photo MN)
Ce chant, commandé par la Région Paca à Miquèu Montanaro spécialement pour « Marseille accueille le monde », prend des airs d’hymne, bien que l’auteur s’en défende. «  J’ai fait un chant, tout simplement, en essayant de tenir compte du fait que des gens très différents dans leur culture musicale viendraient le chanter ensemble».
 
A Aubagne, ce 8 juin 2013, au cours de cet évènement labellisé « Marseille Provence 2013 », cependant, ces quelques mesures prennent une véritable valeur symbolique. « C’était la rencontre de gens venus de partout, et quelque chose s’est passé, qui nous a tous régalé » avoue avec un grand sourire, Magali Bizot. L’écrivain occitan est une des chanteuses du groupe vocal Misé Babiha, elle était sur scène, sous la direction de Rodin Kaufmann, pendant que l’auteur Miquèu Montanaro, lui, donnait la mesure au public.
 
C’était bien là le but, tel que le résume Philippe Fanise, le directeur artistique de cette journée aux airs de fête populaire de qualité. « Nous voulions réunir autant de langues et de traditions qui se croisent rarement dans leur propre région ». Et de rajouter de façon malicieuse, « on a voulu réunir les uns et les autres pour qu’il n’y ait plus d’autres, mais rien que des uns… »

Diversités

Denis Pantaléo : "cette journée fait la démonstration que les cultures peuvent cohabiter" (photo MN)
L’animateur de l’Arcade Paca lui aussi résiste à l’idée d’avoir créé un hymne : « nous voulions éviter de faire penser à un drapeau, mais créer un chant d’accueil… »
 
Durant deux jours, les 8 et 9 juin 2013, la place Charles de Gaulle s’est couverte des tentes blanches de la Régie Culturelle Régionale, particulièrement investie dans cette manifestation.

Là, dans ce « village associatif » on rencontre autant le Collectif Provence que l’Institut d’Estudis Occitan, l’Ostau dau Païs Marselhés que le Roudelet Felibren de Castèu Goumbert qui fait face au Félibrige, lui-même à peu de distance d’Ancrages, une association marseillaise vouée au patrimoine local, social comme multiculturel.

: "l'occitanisme c'est l'ouverture aux autres"

Fouad Didi, sur des airs arabo-andalous, fait chanter "Bèla Calha" en occitan (photo MN)
« C’est bien là que se sent bien l’occitanisme, dans le partage, l’ouverture sur les autres cultures » souligne devant son stand Joël Bouc. Le président de l’IEO 13 se trouve particulièrement à l’aise au sein de cette manifestation. Enfin ! un moment où la musique et la langue d’oc transpire de partout sur l’espace public, celui de la fête, et rencontre d’autres cultures, qui contribuent elles-mêmes à faire évoluer la culture occitane de Provence.
 
« C’est une excellente chose que toutes ces cultures musicales puissent se rencontrer ici, l’intéressant dans l’idée occitaniste c’est justement l’acceptation de l’autre et l’ouverture sur sa culture» insiste Joël Bouc.
 
Le président de Charrar Provençau, Miquèu Arnaud, d’Auriol a un avis différent. Tout heureux qu’il soit de participer de ce moment, lui regrette que la musique occitane ne soit pas au centre. « Le français invite l’occitan et les autres cultures, alors que l’occitan devrait s’affirmer, et inviter, lui, le français en même temps que les autres cultures ». Nuance !

"Une occasion de créer du dialogue"

Moment rare que la prestation de Mondolino (photo Mn)
Reinié Martel, le sous syndic de la maintenance provençale du Félibrige, pense lui que « notre région ne pourrait pas vivre sans mettre en valeur notre culture, qui devrait être amenée à mieux dialoguer avec les autres traditions. Quelque chose devrait être mis en place pour que ces cultures se rencontrent plus régulièrement. Développons les liens ! »
 
Pour Denis Pantaléon, cabiscou du Roudelet félibréen de Castèu Goumbert, Marseille accueille le monde fait « la démonstration que toutes les cultures et toutes les religions peuvent vivre ensemble. » A preuve ce village associatif, où tous se côtoient. « Une excellente occasion de créer du dialogue ! »
 
Alors que, pour pouvoir assister aux concerts,  vers 17 h le village ferme ses tentes, un bruit de tambour se fait entendre. Ce sont les brésilianistes de Tambores da liberdada, qui font vivre en Provence et avec entrain cet art populaire de la percussion.

Chants arméniens, berbères, occitans...

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La liste des groupes de musiques invités serait bien trop longue, mais témoignerait de la diversité de la culture provençale, creuset et shaker de bien d’autres qui s’y ressourcent et la transforment.
 
La banda Garlabanda qui fait résonner ses cuivres et percussions dans les rues de sa ville, ces autres percussions brésiliennes que sont La Quadra, les 50 tambourinaires de Provence emmenés par André Gabriel, les Alpins des Violons du Rigodon, l’ensemble réuni de plusieurs chorales occitanes dans Canta Carriera, les Arméniens d’Araxe (danse) Sassoun (musique), ou les chants berbères d’Angadja…ne sont encore qu’un échantillon de ce que proposent ces deux journées.
 
C’est la rencontre entre tous, sur le plan musical, qui se révèlera passionnante. A preuve l’ensemble réuni sous la direction du oudiste marseillais Fouad Didi. Sur la scène les « Arabesques » (c’est le titre de la formation) musicales se déroulent, et, après un moment, les chants arabo andalous font une place à…tiens, voici des paroles qu’on reconnaît.

Deux généreuses interprètes, sur des airs orientaux, chantent « au jardin de mon paire li a tant bèu pin… ». Dans l’assistance les mains battent le rythme, le public espérant que, finalement, le chasseur ne tire pas sur la « Bèla calha », et que le chant, lui, ne s’arrête plus.
 

"Une terre de passage où chacun laisse sa trace"

Pendant que l’incroyable bonne humeur de Patrick Vaillant et ses trente musiciens de Mondoline font vibrer mandolines et spectateurs, Aïcha Sif, la conseillère régionale qui représentait à Aubagne Michel Vauzelle, le président de Paca, nous le dit carrément. «  Sur notre territoire, il y a une langue, l’occitan, que j’ai apprise au collège, et une culture qui se confronte normalement avec les musiques et cultures du sud de la Méditerranée. Une culture c’est vivant, et la normalité c’est qu’elle s’enrichisse de ce qu’apportent les autres. »
 
Pour l’élue, « la Provence est une terre d’accueil et de passage ». Et c’est sur la musique d’Arabesques, qui finit par couvrir sa voix, qu’elle concluera : « ceux qui passent laissent des traces, et ils font bien, car nous en héritons ».
 
Plusieurs milliers de ces « héritiers » seront passés par Aubagne au cours de ces deux journées. Et qui sait si demain la Provence n’y aura pas gagné un nouvel hymne, qui témoigne de ce « tous ensemble » qu’a voulu chanter Miquèu Montanaro. « Caminarem ensems ».
 
Miquèu Montanaro et Aïcha Sif en grande discussion sur la diversité culturelle (photo MN)

Mardi 11 Juin 2013
Michel Neumuller