La charte vraiment sortie du placard ?


Le Congrès réuni en 2016 pour, entre autres questions, autoriser l’Etat à signer la Charte Européenne des Langues Minoritaires ? Une portée symbolique et peu de droits réels. Mais aussi une occasion de voir comment ont évolué les pensées politiques à ce sujet en France.



Il y a en France des sujets aussi épineux que l’intervention militaire en Syrie et l’accueil de dizaines de milliers de réfugiés. Et l’Etat, qui devra en décider, s’apprête aussi à lancer une réforme du Code du Travail qui traumatise par avance toute la gauche. C’est au milieu de ces questions de société cruciales que le chef de l’Etat a glissé une annonce lors de sa conférence de presse de rentrée, le 7 septembre.

Peu de droits à attendre au fond, mais un pied de nez aux personnages politiques qui fantasment un soi-disant affaiblissement de l'unité nationale et tirent à boulets rouges sur les langues de France

Il réunira le Congrès, c’est-à-dire le Sénat et l’Assemblée Nationale, en 2016, afin de réformer la Constitution du Peuple Français. Il lui proposera de décider d’introduire une dose de proportionnelle dans le processus électoral, de réformer le Conseil Supérieur de la Magistrature, et de rendre possible la signature, par la France, de la Charte Européenne des Langues Minoritaires.
 
Nous avons déjà examiné la portée de cette décision, lors des étapes, toujours avortées, des tentatives timides et maladroites de l’Etat d’y parvenir. On sait que cette mesure, et le droit dévolu aux langues régionales en général, suscite des oppositions aussi irraisonnées que radicales.
 
Le déni du droit à parler, publier, lire ou entendre une langue de France, en France, réunit – quelle prouesse ! – messieurs Philippot et Mélenchon. Du Front National au Parti de Gauche, ont poursuit l’œuvre macabre de l’abbé Grégoire. Il s’agit pour les détracteurs d’éviter une division, voire un séparatisme, dont le fantasme nourrit une bonne part du jacobinisme français.
 
Quelle idiotie ! Les Suisses qui parlent, selon les régions, italien, français ou allemand, se séparent-ils ? A l’inverse les Serbes et les Bosniaques qui partageaient la même langue sont-ils restés ensemble ? La défense des langues d’Ecosse est-elle l’argument brandi par les indépendantistes ? Les Burkinabés qui parlent, parfois au sein de mêmes villages jusqu’à huit langues différentes ont-ils fait de cette diversité un critère de haine lors des pogroms que chrétiens et musulmans ont perpétré l’an dernier ?
 
Le fait de développer une presse en occitan, d’apprendre le basque à l’école, ou de créer une TV de langue arménienne mettront-ils en danger la République ?
 
Il y a vingt ans, alors que j’enquêtais sur les rescapés marseillais du génocide des Juifs d’Europe, l’un d’eux me dit avec le plus grand calme : « J’ai cru dans les institutions de la France, et cela m’a valu un séjour dans les camps de la mort. La France, ce ne sont pas des institutions, mais une idée ».
 
Quand elle inscrit dans le droit la diversité, quand elle lutte pour la liberté dans le monde, quand elle accueille des réfugiés ou quand elle est moteur dans les droits sociaux, la France est la France. Quand elle considérera que les 75 langues minoritaires parlées sur son sol font sa richesse, elle le sera encore plus.
 
Quand elle laisse parler sa crainte des différences et, confondant unité et uniformité, elle ne veut plus voir aucune tête dépasser, elle n’est plus que l’Etat Français.
 
La Charte Européenne des Langues Minoritaires là-dedans ? Quelques engagements français, à peine un tiers de ceux qu’elle propose, aucun véritable droit, rien qui ne diminue l’usage du français dans la République, voilà ce qui suscite tant d’ire irraisonnée depuis 1997 et la première tentative législative pour l’adopter en France.
 
Ce qui fait naître la grande crainte des contempteurs des langues régionales en France, c’est une unique disposition, à laquelle les Etats ne peuvent se soustraire. Chaque année, la manière dont le pays signataire a respecté ses engagements est évaluée, et le rapport est rendu public.
 
Cela contrecarre évidemment la manie bien française d’accumuler lois et règlements, et de ne pas se préoccuper ensuite de leur application.
 
Nous n’en prendrons qu’un seul exemple, mais qui résume si bien cet état d’esprit. Depuis 2001 une circulaire du Ministère de l’Education Nationale crée l’obligation pour les Académies de réunir deux fois par an un Conseil Académique de la Langue Régionale. On y trouve les acteurs de l’Education Nationale, les collectivités locales et les associations de promotion de la dite langue.
 
Elle n’a été instituée dans l’Académie d’Aix-Marseille qu’à la fin de la même décennie, et ne se réunit qu’une fois par an. Quand ses membres demandent l’application de la circulaire, ceux qui doivent l’appliquer lèvent les bras au ciel, invoquent un manque de moyens, et passent à un autre sujet.
 
Messieurs les farouches opposants législatifs à tout droit consenti à nos langues de France, rassurez-vous. Si, d’aventure, en 2016, la Charte Européenne des Langues Minoritaires était adoptée en France, vous auriez bien peu de chances de la voir entrer dans la réalité de notre pays.
 
Vos indéfectibles soutiens dans les institutions, aidés par la redoutable inertie administrative qui fonde leur identité, rendront caduques les timides avancées par lesquelles M. Hollande espère glaner quelques précieux pour cents lors de prochaines élections.
 
 

Mercredi 9 Septembre 2015
Michel Neumuller