Vent Terral réédite Portulan, de Roland Pecout


Le récit sensible du voyage d’orient de l’écrivain provençal avait été écrit dans un autre monde. Celui où l’étrange étranger attirait, celui où l’on s’intéressait à des cultures lointaines assises sur des histoires millénaires, celui où l’avenir était dans le partage et la reconnaissance de l’autre. Trente-cinq ans après, la mondialisation a partout uniformisé, souvent généré des réactions conservatrices violentes. Portulan témoigne d’une manière de voir d’avant. Quand l’avenir était synonyme d’espoir.



Vent Terral a eu l’excellente idée de nous envoyer tout d’un coup les ouvrages que cette vénérable maison d’édition a publiés en 2013. C’est ainsi que l’ouvrage de Roland Pecout, Portulan, nous tombe sous les yeux. Publié en 1978 et 1980 en deux livres par le même Vent Terral, l’ouvrage témoigne d’une Andalousie perdue, d’un territoire des rêves qui a conduit plus d’un à aller voir les réalités de l’orient in situ.
 
Il fut en effet un temps où de jeunes gens pouvaient prendre un sac à dos, chausser des patogas, éventuellement s’armer d’un exemplaire de poche de Sur la Route, et aller voir au lointain ce que vivaient et pensaient les autres, qui vous accueillaient dans leur digne pauvreté.
 
C’était avant que la famille Bush, père et fils, n’affuble l’autre du peu glorieux titre de « forces du mal », avant que les porte-conteneurs chinois n’amènent jusque dans le coin le plus reculé de la planète textiles ou taraïettes que jusqu’alors on produisait localement. Depuis Portulan, l’idéologie libérale et la mondialisation des échanges ont tué l’altérité et imposé la violence.

Avant que ne soient les "forces du mal" était l'altérité

Avec quelques autres : Gilbert Laval, Pierrette Bouichou, Bernard Fournier et Joël Fernandez, Roland Pecout était alors parti vers l’Orient. Puis il en était revenu avec de magnifiques et courts textes, des impressions de voyages.

Attentif à l’autre, ses regards, ses attitudes, ses paroles, il nous faisait connaître en occitan l’Afghanistan d’avant les Talibans, d’avant même les chars soviétiques. Puis il poussait jusqu’au Cachemire et montait dans l’Himalaya.
 
Après trente et quelques années, on s’aperçoit qu’il nous parlait d’une époque, « aquela de la vida vidanta d’un mond a la velha de la mondializacion », résume son préfacier, Joan-Francesc Teisseire, en 2013.
 
Qu’il ait fallu attendre 30 ans cette réédition s’explique sans doute par la révolution du monde. Il a radicalement tourné sur lui-même, faisant de l’Asiate un voisin, et de l’artisan un mendiant, un ouvrier encaserné, ou un porteur de kakachnikov.

« Dins aqueleis endevenenças, pareissiá irrespechiós, escarabissós, e quitament mau-senat, de rementar un passat enfugit » nous dit encore le préfacier.

Roland Pecout en 2008 (photo MN)
Comment parler de la Yougoslavie des peuples autonomes après Srebrenica ? Comment évoquer l’Arabie Heureuse après le fracas des bombes ? Comment dire l’Afghanistan des gens accueillants après l’obligation de porter la Burqa ?
 
Pourtant ce texte était nécessaire. Il nous montre l’autre avec qui le dialogue est possible, comment on peut essayer de se mettre un instant à sa place, pourquoi il est nécessaire d’aller au contact afin d’éviter le ratatitement de la pensée occidentale.
 
Ces impressions de voyage avec leur luxe de descriptions d’avant internet et la pléthore de chaînes câblées consacrées aux documentaires, gardent leur merveilleux intérêt ; elles vous permettent d’accompagner leur auteur, de mettre vos pas dans ses pas, et votre cerveau au diapason du sien.

Le sentiment né du reportage vous tiendra alors en mesure de sentir les odeurs des marchés, la chaleur du soleil au levant, d’entendre les bruits des souks et le halètement des ânes. A travers tout cela vous pourrez saisir un peu de l’humanité d’un monde qui sera bientôt désintégré.

Vous aurez un instant aboli le temps qui a passé, souvent contre l’avenir rêvé des gens rencontrés par l’auteur.

Texte revu

Tous ceux qui possèdent la première édition de Portulan, pourront aller constater que l’éditeur ne s’est pas contenté d’un reprint. Il s’agit bel et bien d’une nouvelle édition. Le texte a été revu. Roland Pecout y a manifestement modifié l’occitan qu’il maniait alors.

Le livre ne débute plus vraiment par « Lo desèrt es un element. Coma l’aige. Coma la mar… » bien des accents ont disparu, d’autres sont apparus. Des termes ont été changés, comme le « reconstruccion » de la première page qui a laissé la place à « rebastisson ».
 
On aurait aimé que l’auteur explique ces nouveaux choix. On aurait aussi aimé que, tout comme dans la première édition, un lexique soit proposé en fin d’ouvrage, afin d’élargir le nombre des lecteurs potentiels de ce qui est, désormais, un des grands classiques de la littérature occitane.

Mardi 31 Décembre 2013
Michel Neumuller