Séries sans accents et sans intérêt


En France la série télévisée doit parler français, évacuer les accents, et si possible se dérouler à Paris. Parler croquant ? Vous n’y pensez pas ! Nous sommes en France…



Alors que, le 14 septembre, va s’ouvrir le Festival de la fiction à La Rochelle, la profession se demande pourquoi si peu de séries françaises sont achetées à l’étranger. Vous-mêmes, si comme moi vous êtes amateur, posez-vous la question : combien de séries françaises avez-vous envie de voir, et combien de séries TV étrangères ?

Outlander parle gaélique à un public mondial, mais Plus belle la vie efface toute trace de culture locale à Marseille

C’est une pitié ! Il m’arrive de jeter un coup d’œil à la TV catalane, la plus francophile en Europe, et celle-ci ne diffuse les feuilletons policiers bleu-blanc-rouge que l’après-midi, quand les gens ont autre chose à faire. Je parie qu’ils les ont eues à prix bradé.
 
Peut-être sont-elles mal ficelées, avec des héros trop prévisibles, trop positifs, avec des scénarios qui rassurent les diffuseurs mais qui font caguer les téléspectateurs…Peut-être aussi sont-elles trop pariso-parisiennes. Même, et c’est un comble, quand, rarement, leur action ne se déroule pas à Paris.
 
Le cas le plus emblématique est celui de Plus belle la vie. Réalisée à Marseille, représentant Marseille, mais s’évertuant à effacer tout ce qui fait Marseille. Jusqu’à l’accent local qui est balayé sous le tapis ! Marseille rêvé par Paris, mais réalisé à Marseille…Formidable. On ne  peut inventer ça qu’en France.
 
Depuis les mini-séries de mon enfance, telle Jacquou le Croquant, Les compagnons de Jehu ou Quentin Durward, on ne s’aventure plus guère au-delà de Vitry ou de Clamart, sur le petit écran. Si vous connaissez une bonne série, actuellement diffusée, qui se déroule à Lyon, Toulouse ou Poitiers, écrivez-moi, je suis preneur…
 
Si, exceptionnellement, la très contemporaine série de Fabrice Gobert, Les revenants, sort du lot, elle le doit surement à ses qualités scénaristiques, au jeu de ses acteurs, et peut-être aussi au fait que l’auteur la situe dans une commune rurale alpine. A la montagne on respire mieux, même quand, bien entendu, on y a gommé toute particularité savoyarde.
 
Nos goûts vont plus surement aux séries anglo saxonnes, particulièrement américaines. Paradoxalement les champions toutes catégories de la mondialisation des échanges abritent des créateurs qui s’attachent à valoriser les cas particuliers, les cultures populaires.
 
Un David Simon, avec The Wire, ausculte les rapports policiers-dealers à partir d’un port en crise de l’Atlantique, Baltimore. Le même, dans Treme, examine la faculté des habitants d’un quartier de News Orléans à sortir de la mouise après le passage de l’ouragan Katrina de 2005. Il en examine avec brio les conséquences sociales. C’est d’ailleurs une tendance « historique » aux USA : David Vincent ne pourchassait-il pas Les envahisseurs dans les coins les plus reculés des Etats-Unis ?
 
Et cela nous échappe généralement, mais on ne chasse pas les accents dans les séries américaines, ni ailleurs, d’ailleurs, en général. Cela c’est un sport franco-français…Peut-être Grecs et Turcs, avec qui nous partageons cette manière d’écarter les différences culturelles, font-ils pareil. Si vous comprenez le grec et le turc, écrivez-nous à ce sujet.
 
Actuellement, au sujet des cultures différentes dans les séries télévisées, je ne saurais que trop vous conseiller d’aller fureter sur la chaîne Netflix, ou de dénicher sur un site de streaming, l’excellente série américano-britannique Outlander.
 
Elle mêle fantastique et rigueur historique. Habits, armes, savoirs et mentalités font l’objet d’un vrai travail de scénario. Je résume à gros traits : une infirmière britannique se retrouve propulsée en 1743,  à partir de 1945, dans l’Ecosse qui prépare sa révolte contre l’occupant anglais.
 
Elle doit s’y marier pour éviter de gros-gros ennuis, et se confronte à une société patriarcale codifiée, finement décortiquée dans ses contradictions, où l’on parle évidemment gaélique. Et que font les concepteurs de la série ? Ils font parler le quart du temps les acteurs dans la langue locale. Ça ne pose aucun problème à personne, d’aucune sorte. C’est peut-être même un avantage valorisable par les producteurs.
 
Dans une série française, après trois mots de provençal ou de basque, les distributeurs vous auraient abandonné au milieu du gué, les pontes de l’avance sur recette vous auraient fait un bras d’honneur, et les directeurs de chaînes auraient demandé à leur secrétaire de vous faire barrage au téléphone. C’est la France des années 2000.
 
Pourquoi ? Le public n’est-il pas assez intelligent pour comprendre l’Universel que l’auteur aurait traqué dans la situation locale ? Ou, pour entrer dans ce système audiovisuel fermé, ne doit-on pas commencer par faire le deuil de ses propres particularités, avant de reproduire l’esprit national de fermeture que nous connaissons trop bien ?
 
Voici trente ans j’avais été anéanti en lisant un hebdo catho – Témoignage Chrétien – interrogeant un acteur que j’apprécie particulièrement, Jean-Louis Trintignant. Ce Vauclusien monté à Paris avait dû perdre son accent pour devenir l’acteur épatant qu’on connait. Avec le recul il trouvait ça violent, et injuste.
 
Et il avait raison. Trente ans après, qu’est-ce qui a changé ?
 
Outlander, la série de Ronald Moore. Puisqu'on est en Ecosse, on y parle comme les Ecossais (photo XDR)

Mercredi 7 Septembre 2016
Renat Mine