Pèire Brechet : “L’avis du Conseil Constitutionnel de fait interdit la pratique de nos langues autochtones”


Pèire Brechet est président de l’Institut d’Estudis Occitans. Selon lui les astuces gouvernementales pour nier le processus démocratique d’adoption de la loi Molac ont un mérite : elles rendent claires le non respect du droit à parler sa langue, comme à l’enseigner.



Le Conseil Constitutionnel se base sur l’article 2 de la Constitution pour dire inconstitutionnel l’article 4 de la loi Molac, celui sur l’enseignement immersif à l’école publique. Ton sentiment ?

 

Cette affaire contribue à clore une époque que je souhaite révolue : celle durant laquelle nous disions “aimez nous et acceptez que nous transmettions notre langue car elle est belle et mérite de vivre”. De mon point de vue nous entrons dans l’ère de la revendication des droits humains. Les droits linguistiques sont reconnus internationalement, et la France les reconnait même, ailleurs. Alors ne soyons pas aliénés, réclamons nos droits, celui à parler et à enseigner notre langue autochtone. Changeons de paradigme.

 

Tu parles de “langues autochtones” là où la loi Molac précise “langues régionales”.

 

Langue “régionale” suppose un lien hiérarchique entre Paris et Province, minoritaire un état d’infériorité par rapport au majoritaire. Nos langues correspondent à un territoire et à sa population. Elles sont autochtones, c’est d’ailleurs ainsi que les nomme l’ONU.

 

Le point 19 de l’avis du Conseil Constitutionnel critique le fait que la langue régionale soit – je cite - “langue de communication au sein d’un établissement”, non seulement langue enseignée mais aussi langue employée hors cours.

 

C’est un aspect très intéressant de la décision puisqu’ici le Conseil Constitutionnel nie le droit d’une population à utiiliser sa langue. Le Conseil Constitutionnel finalement interdit l’usage de nos langues y compris hors temps d’enseignement. Cela va au delà de son utilisation dans le cadre scolaire. Il s’agit, j’insiste, d’une interdiction à parler sa langue.

 

Mesurons bien la chose. Si je parle occitan dans un groupe, un ou l’autre de mes interlocuteurs s’en offusquera, mais je ne serai pas entendu si je prétend qu’on m’a interdit de parler occitan. Mais ici c’est clair, si le Conseil Constitutionnel juge qu’il est inaproprié de parler occitan dans la cour de récréation ou dans un couloir de l’école, personne ne peut plus nier que l’Etat interdit la pratique de la langue elle-même ! Tout dramatique que nous apparaisse cet avis, au moins il met concrètement en œuvre une interdiction de la pratique de la langue, ce faisant il clarifie le caractère anti-démocratique de l’Etat. Nos droits humains, j’insiste, sont niés.

 


"Nous n'avons pas perdu, nous avons gagné un affichage médiatique sans précédent"

La loi Molac a été adoptée par l’Assemblée Nationale à l’issue d’un processus complexe de plus d’un an, durant lequel le savoir faire du député a compté. En 2022, élection présidentielle et légistatives obligent la fenêtre se referme. Comment lutter dès-lors pour ce “droit humain ?”

 

On ne commence pas un combat en se demandant quand on le perdra. Déjà ce qui peut passer pour une défaite nous a fait gagner sur un plan : jamais encore nous n’avions lu des articles sur le sujet dans l’ensemble de la presse française, qu’elle soit régionale ou nationale. En deux semaines des dizaines de journalistes qui ne comprenaient rien à ce thème ont progressé comme jamais et peuvent en parler à leur public, intelligemment. C’est énorme. Basons nous là-dessus pour faire appel au civisme et tout simplement au respect des droits humains. Nous n’avons pas perdu. Nous avons gagné l’écoute nécessaire à obtenir le respect de nos droits humains.


Vendredi 21 Mai 2021
Michel Neumuller