Dresseurs de miradors linguistiques et de murailles dialectales


Séparer le provençal de l'ensemble des variétés dialectales de l'occitan, quelle drôle d'idée! Il s'est pourtant trouvé une fine équipe pour la développer en faisant signer une pétition en ligne. Leur but est plutôt d'imposer une certaine vision de la Provence, contre ceux-là même qui signent. Et la manipulation donne des résultats.



Tous ceux qui pratiquent un tant soit peu le provençal, l’alpin d’oc ou le niçois, qui sont les formes les plus courantes de la langue d’oc entre Nîmes et Cuneo, le savent, nous nous comprenons tout à fait avec nos voisins Languedociens ou Auvergnats. Parler provençal avec un Bordelais ne pose pas de problèmes de compréhension. On peut certes trouver exotique le béarnais et le gascon depuis Arles ou Cannes, et pourtant nous l’entendons et le lisons encore.
 
Ce n’est pas le fruit du hasard. Toutes ces variétés dialectales de l’occitan, ou langue d’oc, ont évolué  plus ou moins ensemble dans l’histoire. Même quand les Provençaux, Gascons et autres Auvergnats ne quittaient guère leur terroir, imaginant qu’ils étaient les seuls à parler leur « patois ».

Nombre d’entre eux qui se sont connus dans les tranchées de la Grande Guerre, furent tout étonnés de se comprendre quand ils ne parlaient pas français, et venaient l’un de Castelnaudary, l’autre d’Annot, et le troisième de Bessèges.
 
L’occitan, qu’ils ne nommaient pas ainsi, étaient leur creuset linguistique et culturel commun. La « clef », comme l’a écrit Frédéric Mistral, que le terme n’effrayait pas. Et cette clef ouvre encore de belles perspectives à qui apprend sa langue, aujourd’hui en danger.
 
Avec elle, les écoliers s’initient aux autres langues romanes, gardent parfois un lien privilégié avec leurs grands-parents ; les gens s’attachent à leur terroir malgré la mondialisation, et beaucoup y gagnent une nouvelle sociabilité.
 
Bien sûr, ceux qui parlent provençal et ceux qui parlent une autre variété dialectale de l’occitan, tiennent tous à leur particularité. Ils ont raison de faire entendre leur petite voix originale parmi sept milliards de Terriens. Mais tout cela est et reste de l’occitan. Tout comme le suisse romand, le québécois, le wallon et le cajun restent du français, malgré accents et tournures héritées de l’éloignement ou de réalités originales.
 
C’est fort de ces simples constatations étayées par des générations de linguistes et socio linguistes, que le Comité Consultatif des langues régionales nommé par la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, voici quelques mois, fait des propositions au nom de l’ensemble des parlers d’oc. Ce qui est bon pour un  meilleur partage de l’occitan est bon pour le développement de toutes ses variétés dialectales. Et un cadre commun permet de mieux agir, plus largement, avec de plus nombreuses solidarités. On s’en rendra compte quand il faudra discuter du nombre d’enseignants à former ou des aides au cinéma en langue régionale, ou du partage d’expériences en matières d’annonces, dans les transports publics par exemple.
 
Simple, normal, productif. Qui s’en plaindrait ?
 
Certains…
 
Depuis le début août, ainsi, circule sur le net une de ces pétitions qui, affirment les organisateurs du service change.org, font de vous un acteur du changement, un citoyen, quoi ! Et le collectif qui réclame ainsi « le provençal maintenant », demande à tout un chacun de se plaindre au président du Conseil Régional et à d’autres élus du fait que le Comité consultatif cité plus haut ne soit jamais « qu'un lobby puissant (qui) se met en place au sein de cette commission pour favoriser l'occitan comme langue officielle de tout le grand sud ».
 
Le lobby, purement imaginaire, et la tentative de faire de la langue d’oc une langue officielle, complètement fantasmatique, sont en vérité dénoncés dans un but franchement vénal.
 
Pour créer un "observatoire de la langue provençale"  qu’ils projettent dans le Vaucluse, il faut de l’argent à ces dresseurs de murailles, à ces militants du divorce, à ces douaniers autoproclamés. Il leur faut beaucoup d’argent ! Les 200 000 € que leur attribuent généreusement des collectivités locales n’y suffisent pas. Ils réclament, nos enquêtes le déterminent, au moins 100 000 € de plus, pour simplement ouvrir ce centre dont ils veulent faire le porte-missiles de l’anti occitanisme en Provence.
 
Pour ce faire, en période de vaches maigres budgétaires, il leur a semblé nécessaire de demander à ces mêmes collectivités, les moyens, même modestes, qui actuellement permettent à nombre d’associations de, réellement, faire progresser l’enseignement et la pratique de la langue d’oc, ou si l’on préfère, du provençal.
 
Selon le principe des vases communicants, adaptés à la politique culturelle provençale, il semble aux thuriféraires du mirador linguistique, qu’on doit affaiblir ceux qui font beaucoup avec peu, pour engraisser ceux qui ne font rien avec beaucoup.
 
Car de ce groupe râleur, on cherche avec difficultés quelles actions il a mené pour favoriser durablement notre langue régionale. En la matière son bilan et mince : rachat de droits d'auteurs de livres déjà édités, une traduction de bande dessinée. Guère plus. Depuis sa création au crépuscule du XXè siècle, sa seule activité véritable consiste à essayer d’empêcher toute avancée du provençal dans la société, en essayant de contrecarrer l'action des autres associations. Ils le font au prétexte que ceux qui font la promotion de notre langue régionale reconnaissent que celle-ci s’inscrit dans un ensemble plus vaste, à la littérature prestigieuse, et à l’intercompréhension aisée.
 
Les pétitions inspirées par ce collectif, demandant la tête de tel journaliste, l’interdiction d’écrire de telle manière, la proscription de tel producteur de télévision, nombreux sont ceux qui les gardent dans leurs archives personnelles, après avoir essuyé le feu roulant que nos bâtisseurs de frontières ont fait tirer aux naïfs qu’ils parviennent à embrigader.
 
Bref, il faut à ces contempteurs de l’œuvre fédératrice de Frédéric Mistral séparer ceux qui s’entendent et se comprennent, divorcer les dialectes d’une même langue, dresser des barbelés là où l’on veut circuler librement, et bien entendu s’auto-désigner garde-frontières de la langue.
 
Leur pétition jouit d’un certain succès. En déclarant : « nous voulons interdire aux autres d’écrire et de publier » ils ne recueilleraient certes que les signatures qu’ils méritent. Il leur a donc fallu élargir, se poser en victimes d’un « lobby occitan » qu'ils ont su imaginer, et prétendre que par là ils défendent un provençal pour lequel ils n'agissent pas.
 
Ils comptent sur la bonne volonté de gens peu informés. Ceux-là qui prêtent leur signature ponctuellement à cette manipulation, seront demain comptés comme adhérents par ce groupe aux idées étroites. Laissez leur une adresse à l'occasion d'un spectacle, achetez leur un colifichet, et vous serez membre d'office. Ils en revendiquent ainsi plusieurs milliers, qui seraient bien étonnés de voir associé leur nom à leurs entreprises.
 
Demain, c’est-à-dire au moment des élections municipales, ils se serviront de ces soi-disant adhérents. Faire pression sur les candidats afin d’obtenir la peau de ceux qui, localement, agissent pour notre langue régionale, c’est ce qu’ils tenteront. Ils ne connaissent que la politique de la terre brûlée.
 
Ils agiront sur du vent. Mais l’expérience l’a souvent prouvé, quand il souffle cela marche très bien. Hélas. Et nous avons pensé avertir autant qu’il est possible par ces lignes ceux qui, de bonne foi, signeraient une pétition qui cache ses intentions liberticides.

Mercredi 21 Aout 2013
Aquò d'Aquí