Le Conseil Constitutionnel se base sur l’article 2 de la Constitution pour dire inconstitutionnel l’article 4 de la loi Molac, celui sur l’enseignement immersif à l’école publique. Ton sentiment ?
Cette affaire contribue à clore une époque que je souhaite révolue : celle durant laquelle nous disions “aimez nous et acceptez que nous transmettions notre langue car elle est belle et mérite de vivre”. De mon point de vue nous entrons dans l’ère de la revendication des droits humains. Les droits linguistiques sont reconnus internationalement, et la France les reconnait même, ailleurs. Alors ne soyons pas aliénés, réclamons nos droits, celui à parler et à enseigner notre langue autochtone. Changeons de paradigme.
Tu parles de “langues autochtones” là où la loi Molac précise “langues régionales”.
Langue “régionale” suppose un lien hiérarchique entre Paris et Province, minoritaire un état d’infériorité par rapport au majoritaire. Nos langues correspondent à un territoire et à sa population. Elles sont autochtones, c’est d’ailleurs ainsi que les nomme l’ONU.
Le point 19 de l’avis du Conseil Constitutionnel critique le fait que la langue régionale soit – je cite - “langue de communication au sein d’un établissement”, non seulement langue enseignée mais aussi langue employée hors cours.
C’est un aspect très intéressant de la décision puisqu’ici le Conseil Constitutionnel nie le droit d’une population à utiiliser sa langue. Le Conseil Constitutionnel finalement interdit l’usage de nos langues y compris hors temps d’enseignement. Cela va au delà de son utilisation dans le cadre scolaire. Il s’agit, j’insiste, d’une interdiction à parler sa langue.
Mesurons bien la chose. Si je parle occitan dans un groupe, un ou l’autre de mes interlocuteurs s’en offusquera, mais je ne serai pas entendu si je prétend qu’on m’a interdit de parler occitan. Mais ici c’est clair, si le Conseil Constitutionnel juge qu’il est inaproprié de parler occitan dans la cour de récréation ou dans un couloir de l’école, personne ne peut plus nier que l’Etat interdit la pratique de la langue elle-même ! Tout dramatique que nous apparaisse cet avis, au moins il met concrètement en œuvre une interdiction de la pratique de la langue, ce faisant il clarifie le caractère anti-démocratique de l’Etat. Nos droits humains, j’insiste, sont niés.
La loi Molac a été adoptée par l’Assemblée Nationale à l’issue d’un processus complexe de plus d’un an, durant lequel le savoir faire du député a compté. En 2022, élection présidentielle et légistatives obligent la fenêtre se referme. Comment lutter dès-lors pour ce “droit humain ?”
On ne commence pas un combat en se demandant quand on le perdra. Déjà ce qui peut passer pour une défaite nous a fait gagner sur un plan : jamais encore nous n’avions lu des articles sur le sujet dans l’ensemble de la presse française, qu’elle soit régionale ou nationale. En deux semaines des dizaines de journalistes qui ne comprenaient rien à ce thème ont progressé comme jamais et peuvent en parler à leur public, intelligemment. C’est énorme. Basons nous là-dessus pour faire appel au civisme et tout simplement au respect des droits humains. Nous n’avons pas perdu. Nous avons gagné l’écoute nécessaire à obtenir le respect de nos droits humains.
La Fédération des Enseignants de Langue et Culture d’Òc vivra un moment démocratique inédit samedi à Toulouse. A l’occasion de son Assemblée Générale annuelle l’élection du Conseil d’Administration aura lieu avec deux candidats, Nicolau Rei Bèthvéder se présente en effet contre Yan Lespoux, président de la Felco depuis 2017 et candidat à sa réélection.
En fait huit membres du CA seront élus, et au total celui-ci en compte une vingtaine, un chiffre mouvant en fonction des circonstances et surtout du nombre de volontaires.
L’association elle-même membre de la Flarep, c’est à dire de la fédération des enseignants de langues minoritaires en France, a traditionnellement un rôle de négociation auprès du ministère de l’Education.
Cette nouvelle situation doit sans doute beaucoup à la tension qui prévaut depuis un an entre les professeurs d’occitan-langue d’oc et leur ministre Jean-Michel Blanquer, auteur de la plus forte saignée pratiquée depuis des décennies dans le système d’enseignement de l’occitan.
Quant aux deux candidats, leurs différences biographiques peuvent partiellement expliquer le fait que la candidature unique ne soit plus la norme. Yan Lespoux est enseignant chercheur, Gascon attaché à l’Université Paul Valéry de Montpellier, Nicolau Rei Bèthvéder également Gascon est enseignant dans le secondaire.
Pour le reste, il faut s'intéresser à leurs programmes et positionnements, tels qu’ils nous les ont transmis, et ainsi qu’ils ont répondu à nos questions complémentaires. Alors apparaitront-ils si différents ?
Yan Lespoux entend poursuivre le travail d’approche et de négociation avec le Ministère. Actuellement celle ci est au point mort, le ministre et ses collaborateurs sont aux abonnés absents. M. Lespoux propose donc d’en appeler à la Flarep et d’engager le combat avec les autres minorités linguistiques dans l’enseignement.
Nicolau Rei Bèthvéder se propose de faire entrer plus franchement la Felco dans l’univers politique et d’en appeler aux élus locaux pour porter les revendications concrètes aux Rectorats, notamment en matière d’heures d’enseignement supprimées.
Les deux candidats affirment vouloir travailler à l’égalité de chances et de traitement de toutes les régions occitanes. La question n’est pas anodine, car les deux régions Nouvelle Aquitaine et Occitanie bénéficient d’une convention avec l’Etat au sein de l’Office Public de la Langue Occitane, et mutualisent une grande partie de leurs moyens, dont sont de fait exclues Auvergne et Provence Alpes Cote d’Azur, mais aussi les départements d’Ardèche et de la Drôme, attachées à la grande région Lyonnaise.
Yan Lespoux dit vouloir rechercher en toute chose l’égalité de traitement par les collectivités de toutes les régions concernées, et se base sur le travail actuel du CA, qui milite pour le renforcement des moyens éducatifs en particulier en Auvergne, parent pauvre des régions d’Oc en matière d’enseignement. Il s’appuie sur la relation établie avec les présidents de Région pour réclamer cette égalité, et affirme avoir convaincu la présidente d’Occitanie Carole Delga de s’en faire le porte parole près l’Etat.
Nicolau Rei Bèthvéder militera, dit-il pour un système de ligne budgétaire autonome de tout Rectorat réservée à l’enseignement de la langue d’oc, hors les dotations globales de fonctionnement, à l’image de ce qui vient d’être obtenu de haute lutte en Région Occitanie du Rectorat de Toulouse. Lui aussi souhaite que la Felco milite auprès des élus pour créer un rapport de force à ce sujet avec les Rectorats, de Nice à Bordeaux. Il souhaite travailler au recrutement-formation de nouveaux militants dans toutes régions.
Yan Lespoux veut parfaire le travail déjà entamé, d’équilibre entre les élus de différentes régions au sein du CA de la Felco. Il souligne un problème de fond selon lui, la sous représentation des enseignants du premier degré au sein de la Felco, et travaillera à l’améliorer. M Lespoux suivra le mode de représentation élective que les statuts à discuter lors de l'AG choisiront : pour l'heure il s'agit d'une élection annuelle avec renouvellement d’un tiers, tout en protégeant la représentation assurée d’associations proprement régionales, et cite l’Aeloc (Provence) comme le Creo Languedoc, afin d’assurer la diversité de sensibilités.
Nicolau Rei Bèthvéder modifierait profondément le mode électif puisque l’intégralité du CA serait renouvelé à l’occasion de l’AG annuelle, qui serait organisée chaque année dans une région différente. Mais le bureau, de six membres, serait lui aussi élu de manière directe via l’AG. L'expertise du CA sera réclamée. Il souhaite créer une règle de parité de la représentation hommes-femmes. Il propose enfin une franche implication dans les réseaux sociaux, et le lancement d'événements populaires reliant toute les régions.
Nous nous devons de rechercher des opinions contradictoires (quand elles veulent bien s’exprimer en temps voulu), et dans le cas de la Felco, nous avons essayé de travailler à un équilibre des modalités d’expression de l’un et l’autre candidat. Le travail de traduction et adaptation de leur discours en français pourrait ne pas convenir à l’un ou l’autre, nous l’avons réalisé avec honnêteté et dans un temps infiniment court, contraint par l’envoi de notre lettre hebdomadaire.
Nous avons choisi de présenter en pièce jointe les documents envoyés par l’un et l’autre, et devons souligner que l’un des deux candidats, Yan Lespoux, a connu des difficultés particulières télématiques, dues à ce qu’il est convenu d’appeler la “fracture numérique” touchant les régions rurales. Quant à Nicolau Rei Bèthvéder, c'est la communication téléphonique lors d'explications complémentaires qui a flanché.
Pour décider de l’ordre d’expression de l’un et l’autre nous avons simplement tiré à pile ou face. Et nous avons respecté l'ordre inverse pour ce qui est de la présentation des pièces jointes.
Les deux candidats peuvent joindre la rédaction en cas de contestation des résumés proposés à nos lecteurs. Nous leur demandons de tenir compte du fait que nous sommes en phase de bouclage du mensuel de février.
Nous souhaitons qu’au delà de l’élection de samedi, une Felco rassemblée s’avère combative, car nous rejoignons l’un et l’autre candidat sur ce diagnostic : jamais l’enseignement de notre langue occitane n’avait été à ce point attaquée par un projet gouvernemental.
“C’est un véritable linguicide, et le ministre Jean-Michel Blanquer est un fossoyeur. Même l’enseignement immersif est considéré comme anticonstitutionnel par le ministre. C’est tout à fait insupportable et nous allons nous révolter”.
Ambiance! Le député européen François Alfonsi est particulièrement remonté, à quelques jours d’une manifestation qui doit faire date. Un collectif de 37 associations de défense et promotion des langues minoritaires en France appelle à Manifester le samedi 30 novembre à Paris, sous les fenêtre de M. Blanquer, ou du moins dans le quartier de son ministère.
“L’Etat crée une agrégation de langues régionales, pendant qu’il réduit à rien le coefficient de celles-ci au baccalauréat” renchérit Paulin Reynard, pour souligner, dixit François Alfonsi, “ce qui constitue un véritable linguicide! Avec les méthodes d’un totalitarisme”.
Le député européen s’était rendu à Aix-en-Provence hier lundi pour clamer avec le collectif “Pour que vivent nos langues”, que l’hostilité ministérielle entrainerait une réaction. La manifestation parisienne de samedi mettra en présence Breton, Basques, Corses, Occitans, Alsaciens, etc. et de la rencontre fermentera probablement un mouvement coordonné en vue de faire plier le ministre “linguicide”. “Elle sera fondatrice d’un mouvement propre à faire reculer le ministre” selon M. Alfonsi, “malgré le rouleau compresseur du jacobinisme, que nous ne supportons pas”.
La réforme dite Blanquer, engagée en 2019, vise à privilégier un ensemble d’enseignements fondamentaux, et à laisser les autres dans un corpus d’options, où l’enseignement des langues régionales à la part du pauvre. Le coefficient attaché à la matière ne pourra représenter au plus qu’1% de la note du bac, et l’élève qui choisit cette option ne peut en prendre d’autres. Autrement dit, choisir le corse ou l’occitan au bac, c’est choisir sciemment de renoncer aux points qui attirent les lycéens. Ceux qui apprécient la matière en sont éloignés s’ils veulent maximiser leurs chances d’obtenir l’examen.
Or, si les lycéens volontaires se détournent de leurs langues, le vivier des futurs enseignants de ces mêmes langues se vide. “M Blanquer nous propose un enterrement, et s’étonne qu’on ne veuille pas mourir!” image M. Alfonsi.
Même si la réforme mettra environ deux ans à rendre ses effets néfastes, le temps que les élèves se découragent vraiment, déjà les conséquences sont palpables, souligne Paulin Reynard. Le jeune homme , baile des jeunes du Félibrige s’est retrouvé au centre de la révolte en Provence, et il peut affirmer que “à Carpentras par exemple, où deux lycées enseignaient la langue, la dotation horaire ne permet plus que de l’enseigner dans un seul, et les autres doivent donc faire deux kms à pied pour prendre leur cours...Rapidement ils ont jeté l’éponge!”.
Une mort annoncée et voulue par “un Etat où une bonne part du personnel politique se retrouve dans un courant hostile à la diversité linguistique” affirme François Alfonsi. Car depuis 1994 et la modification de l’article II de la Constitution, “la langue de la République est le français”, ce qui devait lutter contre l’anglais mais ne sert qu’à étouffer l’expression des langues ...de France.
Une vingtaine de parlementaires français ont toutefois signé l’appel à manifester, et, François Alfonsi en est persuadé, naîtra de là un mouvement propre à gagner l’opinion publique. “Nous sommes en Europe, où la diversité est possible sinon valorisée, et nos langues appartiennent à l’Europe, la France n’a pas à détruire ce patrimoine européen”.