L’occitan à la pointe de la recherche pédagogique


L’apprentissage de l’occitan permet l’apprentissage en général… si l’enseignant joue son rôle d’enseignant. Des choses apprises de façon intuitive à la comparaison consciente des langues, beaucoup se joue pour l’avenir scolaire des enfants dans les classes bilingues et semi-bilingues des Bouches-du-Rhône nous apprend le chercheur Frédéric Saujat à partir de l’exemple des écoles du premier degré dans les Bouches-du-Rhône.



 La situation spécifique du département des Bouches du Rhône, où s’ajoutent aux deux écoles officiellement bilingues français-occitan 31 écoles où le provençal est présent à la fois comme langue enseignée et comme langue d’enseignement d’autres matières du programme pendant une partie de l’horaire, contribue à amplifier les recherches pédagogiques liées au bilinguisme qui s’y mènent. On a pu le constater dans le témoignage sur la démarche pédagogique que nous donnent Frédéric Saujat, enseignant chercheur à l’IUFM, et Roland Boyer*, membre de la Mission départementale de la langue régionale, qui met au service d’une action directe auprès des maîtres les acquis de sa thèse sur l’appropriation des outils à travers le geste professionnel et  son apport décisif dans la création d’une démarche originale de transmission de la langue.  
Cinq séquences filmées par les soins de la Mission départementale dans différentes écoles maternelles et élémentaires illustrent l’intervention de Frédéric Saujat. Elles ne résultent pas de la construction a priori d’un expert qui les consacreraient comme un modèle, mais donnent à voir une pratique réelle.
 
Dans la ligne si convaincante des courants de pensée illustrés par Bruner et Vygotzki, on y perçoit les fondamentaux d’une pratique qui installe le langage comme un moyen avant d’en faire un objet de l’apprentissage. 
Frédéric Saujat, chercheur à l'IUFM d'Aix-en-Provence (photo MN)

Trois éléments liés : l’enseignant, le groupe et l’élève

Roland Boyer, de la Mission académique langue régionale des Bouches-du-Rhône (photo MN)
Pour pouvoir accéder à la maîtrise de la langue, il faut être entré dans l’action langagière, et une des façons d’étayer cette entrée, c’est de prêter aux élèves une part de la compétence du maître. L’élève n’est pas invité à commenter sa pratique, comme le voudrait Piaget, mais c’est le maître qui s’en charge  envers le groupe. Cette situation pédagogique, décrite comme le dire sur le faire par Jean Hébrard, s’observe plus fréquemment à l’école maternelle. Mais son efficacité s’éprouve à tous les niveaux de l’enseignement.
 
La répétitivité des situations permet à l’individu d’être porté par le collectif et par les reformulations réitérées de la maîtresse. Même les moins avancés vont s’approprier ce qui est d’abord une propriété du collectif. L’intelligence de la situation est distribuée a priori entre les élèves et la maîtresse, progressivement chacun s’en empare individuellement. On profite ainsi du collectif pour aller vers l’individuel : c’est la meilleure façon de gérer l’hétérogénéité. Ces conceptions vont au rebours de l’individualisation de l’enseignement, si volontiers prônée comme la panacée : selon la formule vigoureuse de Frédéric Saujat, « l’apprentissage est un processus tribal ».
 
Certaines modes pédagogiques ont hypertrophié le travail de groupe. Pour qu’il soit productif, il faut qu’on ait pu s’appuyer d’abord sur le collectif, qui constitue une ressource indispensable pour les productions individuelles. Trop souvent, on propose une tâche complexe, par exemple dans la situation de résolution de problème, sans aucun étayage. Rien d’étonnant à ce que l’action magistrale échoue si l’enseignant ne joue pas son rôle d’enseignant, surtout dans les zones prioritaires. 

Bien comprendre, imiter pourquoi pas ? Puis inventer

De l'apprentissage inconscient à la maîtrise réflexive (photo MN)
On n’apprend pas de manière autonome sans être autonome. Comme l’affirme Roland Goigoux, il serait temps de se demander ce qui se construit et ce qui se transmet. Transmettre, c’est mettre à disposition de l’élève les outils nécessaires pour s’attaquer à une tâche à condition qu’il l’ait d’abord bien perçue. On a d’ailleurs trop disqualifié l’imitation : comme le dit Vygotzki, on n’imite jamais que ce qu’on se préparait à inventer. Et l’étayage peut se faire par l’enseignant, par les pairs, par des outils, comme les références communes de la classe, les affichages qu’il faut maintenir en vie et dont les élèves doivent savoir précisément à quoi ils servent.
 
En observant la démarche proposée depuis la maternelle jusqu’au cycle 3, on passe d’apprentissages incidents, dont les élèves ne sont pas conscients, à un travail de grammaire comparée qui les conduit à une maîtrise réflexive, la langue devenant alors objet d’étude, où on est conduit à reprendre en métalangage des éléments acquis sans réflexion. L’osmose entre les langues, mais aussi les disciplines, est totale, et manifeste comment l’enseignement de l’occitan peut se mettre au service, non seulement de celui du français, mais encore de l’apprentissage en général. On n’aura pas vu sans émotion cette classe du quartier nord de Marseille où des fillettes débattent dans un provençal impeccable, avec un sérieux et un naturel parfait, sur des points de grammaire comparée du français et de l’occitan, sous la discrète impulsion d’une jeune professeure des écoles, Julie Baculard, qui vient d’intégrer l’équipe de la mission départementale. Autant de fortes raisons d’espérer dans la folle aventure où s’est engagée la troisième renaissance occitane.
 
*Compte rendu d’une conférence proposée lors de la Journée Académique de la Langue Régionale, tenue à Gardanne (13) le 25 mai 2011.

Mardi 4 Septembre 2012
Alain Barthélemy-Vigouroux