Espigoule prépare LE film sur Massilia Sound System

Dans l’indifférence frileuse du système d’aides au cinéma, le projet fera appel au financement participatif


Après Afrikaïoli, Christian Philibert mobilise les Films d’Espigoule… pour évoquer le Massilia Sound System. Le film doit sortir l’été prochain. Pour l’heure, le cinéaste doit ramer ferme, une vraie galère ! Le système d’aides au cinéma d’auteur lui est de plus en plus fermé. Alors il se raccroche aux valeurs du Massilia, qui sont les siennes. Explications de l'auteur.



Sortie prévue en juillet 2016, Òia provençal garanti! (photo Les Films d'Espigoule DR)
En octobre 2014 à Marseille, Aquò d’Aquí te croise sur le cours Belsunce, caméra à l’épaule. Tu débutais le tournage d’un film sur Massilia Sound System, à l’occasion des trente ans du groupe. Tu confirmes ?

J’avais une grosse envie, depuis longtemps, de témoigner de l’énergie musicale qui naît et se diffuse à partir de Marseille. Cette culture du hip-hop convivial c’est la mienne. Je me reconnaissais dans cette mouvance artistique. 

Dès ma rencontre avec Gari Greu, l’un des membres du groupe, il y a quelques années, l’idée d’une collaboration s’est naturellement imposée. J’ai  utilisé, dans Afrik’aïoli, une chanson de Massilia, Au Marché du Soleil (album Oaï e Libertat), qu’ils ont eu la gentillesse de nous offrir.

En 2014, à l’occasion des 30 ans d’existence du Massilia, le projet a été réellement lancé. Tenter de faire un film « culte » sur un groupe « culte » m’a semblé un pari passionnant, et ambitieux. 

"Leurs chansons m'ont aidé à penser : " pas la peine de monter à Paris pour créer"

Avec Massilia Sound System on pouvait donc y croire; le centre créatif du monde c'était chez nous, où qu'on soit (photo XDR)
Pourquoi le Massilia ? Quel rapport avec le monde d’Espigoule ? 

Comme Massilia, j’ai toujours défendu l’idée de rester et de travailler dans ma région d’origine. Comme Massilia, je suis porté par un désir de libérer la parole, de bousculer les tabous, de refuser l’uniformité, le formatage. Comme eux, je tente, à ma manière, de réinventer le folklore, de créer du mythe, du lien social. Comme eux je lutte chaque jour pour acquérir une vraie indépendance. Les points communs ne manquent pas.
 
Je n’ai pas entendu parler du Massilia Sound System à ses débuts, dans les années 80. Je n’habitais pas Marseille, et ne les ai découvert qu’avec leur premier CD, au début des années 90. Je me suis aussitôt senti concerné par leur discours, leur attitude.

Pour moi c’était un choc. Un peu comme le cinéma de Guédiguian. Ils m’ont sans doute aidé à penser : « oui, c’est possible ! Tu n’es pas obligé de monter à Paris, pour faire du cinéma, et tu peux le faire avec les gens d’ici, avec le parler d’ici »*. Exactement le contraire de ce que j’entendais tous les jours. A partir d’ici, ils réussissent à créer quelque chose d’universel... 

Massilia est plus qu’un groupe de musique, et relève d’un véritable phénomène social, qui touche toutes les générations.

"Massilia et moi on a le même problème, le centralisme"

Christian Philibert. Après Afrikaïoli, le cinéaste d'Espigoule se lance dans un documentaire "sur un groupe culte, que le Système met de côté" (photo MN)
En pratique, ce docu sur Massilia Sound System, il va sortir dans quelles conditions ?

La sortie de ce film sera l’occasion de soirées festives, bien dans l’esprit du Massilia et d’Espigoule ! D’autant que nous privilégierons cette fois une sortie régionale. Nous pourrons totalement la contrôler, alors qu’une sortie nationale serait bâclée, à cause du manque de moyens et de communication.

Nous n’avions pas osé le faire avec Afrikaïoli. Mais le moment est venu, avec ce film sur Massilia Sound System, de tenter l’aventure de la distribution régionale ; d’en faire un événement pour nous, fédérateur, provençal, et totalement décomplexé.
 
Un évènement concentré en Provence, qui zappe Paris ? 

Massilia, ils ont le même problème que moi, le centralisme.

Durant leur tournée d’été 2015, la plupart des festivals de musique français les ont demandé. Leur succès a été énorme. Et cependant, dis-moi ce que tu as lu ou entendu à leur propos dans les médias nationaux ? Quelles émissions de TV nationale leur ont ouvert leurs plateaux ? Pratiquement pas un mot, pas une image !

Quand mes films rassemblent 800 personnes pour une seule séance en plein air, je subis le même phénomène. Ça n’impressionne pas une seconde le jury de l’avance sur recette, au Centre National de la Cinématographie.

Quel que soit notre média, si nous parlons à partir de la région, nous sommes inaudibles dans les structures qui sont censées aider à la création artistique en France.

"Les aides au cinéma nous sont refusées, on lance une opération de financement participatif!"

Le budget du film sera assuré d'abord par une opération de financement participatif (photo XDR)
On doit comprendre que ce projet sera autoproduit de chez autoproduit ? Tu tentes malgré tout l’aventure ?

Le CNC a refusé ce projet sur le Massilia, j’ai envie de dire « bien sûr ! » Et je doute que les TV nationales l’achètent.

Par contre je suis certain que la sortie, l’été prochain, va remuer beaucoup de monde ici, qu’on en parlera beaucoup, qu’on se réunira pour de grosses fêtes autour du film.

Bien entendu, ça laissera froid tout le système médiatique français. Tant pis. J’ai l’habitude maintenant.
 
Pourtant il faut bien le produire ce film. Quid des aides publiques au cinéma ?

Des aides ? On ne va pas pouvoir compter dessus, alors il va falloir miser sur un financement participatif, faire appel à l’envie des gens de voir ce film aboutir, compter sur l’élan que peut susciter la convivialité du Massilia Sound System.

Probable qu’on lancera une opération de crowdfunding en février.

On organisera des soirées festives pour appuyer ce lancement, en comptant sur la Chourmo, les supporters de l’OM.

Nous miserons sur tous ceux qui ont un lien profond avec le Massilia, et avec l’idée de convivialité qu’il développe. En parallèle on recherchera des sponsors privés. On va y croire, et le faire !

"En accord avec le CNC, la Région Provence désormais nous coupe aussi les aides aux projets. Faudrait entrer dans le moule conformiste"

Gari Greu, du Massilia, une conception de la vie ici qui a trouvé un écho chez Christian Philibert (photo MN)
Le Centre National de la Cinématographie capte une partie du prix du billet de ciné pour aider un cinéma d’auteur à exister. Et tu es un auteur. Alors ?

Je t’ai dit que le CNC, c’est cuit. Il a ses propres critères de valeurs et la revendication d’une forme quelconque d’identité régionale ne lui plaît guère. 

Tout se décide à Paris, et on n’existe pas pour eux. Le souci c’est que leurs critères ils les imposent maintenant en Région.
 
Le Conseil Régional Provence a son propre système d’aide au tournage et au ciné en général. Tu ne corresponds plus aux critères ?

La Région Provence a toujours soutenu mes films. Dans les difficultés que je rencontrais, au moins je trouvais le Conseil Régional à mes côtés. Mais c’est fini.

La Région a passé un accord avec le CNC. Et ce dernier a imposé ses conditions. Elles s’avèrent intenables pour les petites structures comme la nôtre, qui ne sont pas dans le système industriel du cinéma français. 

Par exemple il faut prouver qu’on dispose déjà de 20% du budget prévisionnel du film qu’on envisage. Ce défi est impossible à relever par des producteurs comme nous, qui prennent tous les risques, et qui ne se paient pas eux-mêmes avant que les recettes du film ne le permettent. 

Le message est clair. Le système ne veut plus que des petites sociétés comme la nôtre continuent de produire des films.

Si je veux faire un film, je dois aller m’adresser à un producteur officiel qui va s’intéresser au projet, jusqu’à ce que le CNC et les chaînes de télé le refusent.

Au bout du compte, j’aurai encore perdu des mois de travail. Et ça m’apparait insupportable.

Mais cet écueil, tous les artistes le rencontrent, du moment qu’ils ne veulent pas rentrer dans le moule forgé par les comptables et les conformistes. 

"Le film sortira à l'été 2016. J'ai suivi partout le groupe, ses membres auront largement la parole, leur public aussi."

Octobre 2014, première bobines filmées avec les afogats de la Chourmo, à Marseille (photo MN)
Malgré tout tu tournes et tu vas sortir ce film. Mais dans quelles conditions ?

Patrick Barra et moi (les Films d’Espigoule), nous sommes pour cela associés avec Manivette Records, la société de production de Massilia, et la société Bélavox représentée par Maxime Gavaudan. Il s’agit du producteur et ingénieur du son marseillais avec qui nous avons l’habitude de travailler.

Nous avons filmé plusieurs concerts de la tournée anniversaire des Massilia, de Perpignan à Paris, en passant par leur fantastique concert de la Fiesta des Suds, à Marseille en 2014. Nous les suivons partout, dans les loges, le train, les hôtels, le Tour Bus. Nous allons à la rencontre de leur public.

J’ai déjà commencé le montage, mais je continuerai à tourner jusqu’à la fin de l’hiver 2016. 

Je vais bientôt réaliser de longs entretiens avec chacun des membres du Massilia. Dès le mois de février, nous lancerons une opération médiatique autour de notre projet de crowdfunding, et un appel aux sponsors.

Avec un peu de chance, le film pourra sortir cet été, avec plusieurs copies. Ce n’est pas impossible. Mais nous aurons besoin d’aide, ça c’est certain.
 
Au fond, pourquoi vouloir autant ce film ?

Mon but, avec ce film, est de faire partager par le plus grand nombre l’universalité de la musique et des valeurs du Massilia Sound System. Ils fédèrent les énergies en Provence. Alors, soyons-en !

Quant au manque de reconnaissance nationale, on est condamné à vivre avec, on mourra sans doute avec. Au fond cela n’est pas si important.

Années 1980 : Chill, Jali, Tatou à Aix. Un mode de penser la vie, l'art, le monde est en train de naître en Provence (photo XDR)
*Massilia Sound System, à partir des années 1987-88 développe le discours de Claude Sicre (Fabulous Troubadours), qu’a théorisé le philosophe Félix-Marcel Castang : « on n’est pas le produit d’un sol, mais le produit de l’action qu’on y mène ».

Mercredi 2 Décembre 2015
Michel Neumuller