Enseignement de l’occitan : Nice rit et Aix-Marseille pleure


Les Conseils Académiques de la Langue Régionale se sont réunis dans les deux Académies provençales. Si Aix-Marseille compte les pertes sans réagir, Nice développe un plan pluriannuel de reconquête. Ici les effectifs glissent, là ils grimpent.



Le Conseil académique à Nice le 5 février. Un plan de développement pour l'occitan à l'école (photo XDR)
A Aix-en-Provence le 18 décembre dernier, puis à Nice le 5 février 2015, se sont réunis les deux Conseils Académiques de la Langue Régionale. Une circulaire régit la vie de ces conseils que doivent consulter les Recteurs d’Académies, depuis 2001.
 
Si certains accompagnent le développement des enseignements, d’autres doivent se contenter d’entendre une information de l’Administration. Les situations sont donc contrastées entre Nice et Aix-Marseille.
 
Côté souriant, Nice. Autour de Claire Lovisi, la rectrice d’Académie, « elle-même à la base professeure d’une langue très minoritaire et minorisée » (elle est latiniste) dit un des siégeants du CALR niçois, on trouve une équipe motivée par les bons résultats.
 
Le nombre d’élèves apprenant l’occitan a plus que doublé depuis 2009 dans cette Académie frontalière de l’Italie. Et le fait n’est pas anodin, puisque l’occitan est présent dans plusieurs projets internationaux, telle la plate-forme internet transfrontalière Commenius Regio.

A l’Ouest rien de nouveau

Enseignements sans continuité et assèchement en amont font baisser les effectifs de lycées, surtout dans les Alpes (photo MN)
2 406 élèves des Alpes-Maritimes et du Var (2,1 millions d'habitants) reçoivent en effet un enseignement d’occitan dans les collèges et lycées (où ils sont 705), contre 1153 en 209-2010. L’effectif a doublé en quatre ans.
 
Dans la salle du rez-de-chaussée du Rectorat d’Aix-Marseille, c’est la morosité qui régnait, à l’inverse, le 18 décembre 2014, pour la réunion annuelle du Conseil Académique de la Langue Régionale.
 
Ce jour-là, le nouveau recteur prend ses fonctions, il parle à tout le personnel, il ne siège donc pas au CALR. Mais en 2013 son prédécesseur n’y était pas non plus, préférant déléguer.
 
« Ses priorités étaient ailleurs, c’est clair » signale un syndicaliste siégeant ; « on comprend que la difficile réforme des rythmes scolaires lui prenne la tête, mais ça n’empêche pas de s’intéresser à la langue régionale ! »
 
Le désintérêt produirait ses effets, selon d’autres membres, interrogés par nos soins.
 
Car le bilan est tout autre qu’à Nice, dans les quatre départements provençaux et alpins de l’Académie d’Aix-Marseille (3 millions d'habitants). Là les lycées accueillent dans leurs cours d’occitan 837 élèves, dont 610 dans les seules Bouches-du-Rhône. En 2009 ils étaient 1020.
 
La décroissance des effectifs est lente, mais certaine.

Plan à Nice, valse-hésitation à Aix-Marseille

Dans l'Académie de Nice l'effectif des collèges a doublé en cinq ans (photo MN)
Dans les départements alpins, ont noté les responsables associatifs, la décrue est telle qu’on peut parler d’assèchement. 46 lycéens reçoivent un enseignement de langue régionale en tout et pour tout dans les Alpes-de-Haute-Provence. ..Et plus aucun n’en recevait dans les Hautes-Alpes en 2013-14.
 
Enseignants et associatifs sont remontés, qui réclament un emploi de Conseiller Pédagogique dans les Alpes « pour raviver l’envie d’enseigner de professeurs qui manquent de soutien, de formation et d’outils pédagogiques » selon un syndicaliste.

En face, l’Administration invoque tout à la fois la difficulté de garder de jeunes enseignants qui rêvent de retourner dans un Languedoc plus vif de ce point de vue, et le souhait des parents de voir enseigner des « matières efficaces pour trouver un emploi ». L’occitan passerait aux tréfonds des préoccupations, si l’Académie ne cherchait pas à protéger ce qui peut l’être, entend-t-on.
 
A Nice, le 5 février, le délégué académique pour les langues régionales, Steve Beeti, a de son côté brossé les actions du Plan académique de développement des enseignements de langues et cultures régionales. Lancé en 2010, il concerne aussi le corse et le monégasque. Mais c’est de l’occitan dont il a été question le 5 février.
 
Le Diplôme de compétence en langue (DCL d’occitan), mis en œuvre depuis 2011 dans ce cadre, qu’Aix-Marseille n’a pas voulu mettre en place, a produit ses effets dans l’Académie de Nice : 28 candidats l’ont obtenu, dont de nombreux professeurs qui souhaitent irriguer leurs cours par cette connaissance. Ils créent un climat favorable à la matière chez leurs élèves.
 
Le jeu des nominations de titulaires du Capes a porté l’effectif à 17, dont 4 depuis 2010. L’enseignement de l’occitan est donc proposé dans 18 collèges et 14 lycées des Alpes-Maritimes, et dans 13 collèges du Var ainsi que 7 lycées.

Le primaire sauve le bilan à l’Ouest

Dans les Bouches-du-Rhône l'effectif progresse en primaire, mais pas dans les départements alpins (photo MN)
Mais les créations de postes ne viennent pas par opération du Saint-Esprit, dans l’Académie de Nice. Elles sont favorisées par un mouvement « culturel » qui modifie la façon de voir notre langue régionale dans le public enseignant.
 
Ainsi le Plan Académique de Formation comporte un volet Langues Régionales avec conférences pédagogiques et modules de formations à la clef pour les profs intéressés.
 
L’Académie d’Aix-Marseille, de son côté, « semble se contenter de compter les pertes » souligne un représentant de l’Association pour l’Enseignement de la Langue d’Oc. « Elle danse une sorte de valse-hésitation pour confirmer un seul et unique poste de conseiller pédagogique dans le Vaucluse, où son travail a donné des résultats. Une année le poste est maintenu mais précarisé, celle d’après il est supprimé, avant que la bataille associative ne parvienne à le remettre en selle. Jamais rien de définitif, jamais d’inscription dans un plan de développement …»
 
Pour les associations de promotion de la langue d’oc comme pour les enseignants, c’est un peu « Nice qui rit, et Marseille qui pleure ! L’une qui considère l’occitan comme une langue d’avenir, l’autre qui la voit comme une langue morte».
 
Mais tout n’est pas négatif à l’occident de l’Huveaune. Le point fort reste l’enseignement maternel et primaire. 

Modules de formation et conseillers pédagogiques favorisent la hausse des effectifs d'occitan

La croissance des effectifs dans le Var accompagne la demande de formations des maîtres, qui ont profité de 25 modules de formation en occitan depuis 2009 dans l'Académie de Nice (photo MN)
Et s’il est vrai que celui d’occitan n’est pratiquement plus dispensé dans les départements alpins de l’Académie d’Aix-Marseille, et avec des effectifs mouvants en Vaucluse, il continue de se développer dans les Bouches-du-Rhône.
 
6982 écoliers apprenaient le provençal dans le département le plus peuplé des deux Académies de Provence. Soit plus 10% en trois ans.
 
Dans une petite trentaine d’écoles publiques, les élèves apprennent même la langue trois heures par semaine, et reçoivent un enseignement en provençal de trois heures lui aussi, en histoire, mathématique, ou quoi que ce soit. Trois sont même bilingues. Il faut encore y ajouter une Calandreta (école associative immersive) à Gap (05), et une seconde à Orange (84).
 
Aucun miracle à cela. Une mission académique dotée de conseillers pédagogiques, depuis 1992, crée des outils pédagogiques, assure la formation des maîtres, accompagne les projets d’écoles qui rejoignent ce réseau.
 
Un phare qui ne parvient pas à attirer le regard des Recteurs d’une Académie qui en a vu trois se succéder depuis 2013. Ils passent ainsi à côté d'un enseignement essentiel à la société régionale, et le laissent se déliter dès l'entrée en sixième.

Lundi 9 Février 2015
Renat Mine