Vingt bougies et dix mille voix pour Cantar lo País


CABRIS-SEILLANS. Avec ce festival de chant en occitan, Patrick Meyer et son association ont réussi à fédérer largement. Ils développent un certain art de la rencontre au service de la langue régionale. Entretien.



Patrick Meyer : "Si la langue occitane n'est plus entendue publiquement, elle n'en est pas moins pratiquée. Nous le démontrons et c'est un des buts de Cantar lo País" (photo MN)
Impossible de lier une conversation en provençal ici dans la rue. Pourtant à la salle polyvalente de Seillans, on ne chantait qu’en occitan le 19 avril. Et c'est ainsi depuis vingt ans. Pourquoi cette belle constance ?
 
Ho ! Il y a longtemps que grands et petits chantent en provençal dans les villages. Seulement on ne les entend pas.

Au fond, cela a été mon premier objectif avec ce festival, montrer ce qui existe mais qu’on ne peut connaitre.

Hier, 18 avril, alors que nous accueillions les groupes scolaires qui chantent, nous avons fait le calcul, le dix millième enfant, en vingt ans, a chanté sur scène dans le cadre de Cantar lo País.

Et je suis persuadé que ce n’est là qu’une goutte d’eau dans l’océan des gens qui chantent en lengo nosto.
 
Au fond tu nous dis là que l’occitan n’est pas une langue morte, mais cachée.
 
Tout à fait. On ne l’entend pas à la TV, pas beaucoup dans la rue. Cependant elle vit.

Géographiquement, Cantar lo país brasse large, mais trouve mieux l'oreille des communes rurales

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T’arrive-t-il de revoir quelques-uns des premiers jeunes participants ?
 
Je peux en croiser. Certains me disent alors :  « je fais du provençal maintenant, au collège, au lycée… » d’autres m’apprennent qu’ils ont continué la musique et jouent désormais de tel instrument. Ce que nous avons fait laisse des traces.
 
Le fait qu’on soit en milieu rural compte-t-il pour cette « durabilité » de la présence de la langue d’oc ?
 
Attention ! Certes le festival se déroule en milieu rural, dans le Haut Var et le Haut Pays de Grasse. Mais les groupes vocaux, eux, viennent de partout.

Nous avons entendu ceux de La Seyne, ville portuaire de 65 000 habitants, directement en prise avec Toulon. Il y a quand même plus rural ! Un autre groupe vient de Nice. Pour les écoles c’est pareil : elles viennent de Toulon, Nice, comme des villages autour de nous.
 
La ruralité cependant compte. C’est ici que nous sommes mieux accueillis par les communes, que nous trouvons sans difficulté des lieux pour chanter. Chaque fois que nous avons essayé avec des villes moyennes ce fut difficile, et dans les grandes villes cela nous est apparu quasiment impossible.
 

Le chant provençal fédère

Le festival se tient à Cabris (83) et à Seillans (06) et accueille les groupes depuis les Valadas jusqu'au Rhône en général. Ici Capodastre, venu de St-Jeannet, dans la vallée de la Cagne (photo MN)
Comment se prépare le festival ?
 
Dans les écoles les élèves répètent au cours de l’année, comme les groupes d’adultes. Le festival, qui ne dure que deux jours, se prépare en fait durant des mois.
 
Voici vingt ans, la mise en route a-t-elle été difficile ?
 
Je trouve au contraire que ça allait de soi, je n’ai pas le souvenir de difficulté particulière.

Il faut dire que le festival s’est fait en écho d’une pratique qui le précédait.

A Salernes nous faisions dans les années 80, des stages de musiques, danses et chants traditionnels. Le chant fédérait danseurs et musiciens.

L'enseignement de l'occitan réclame une attention permanente. Dès qu'on baisse la garde...

Le réseau a-t-il son importance ? Une chanteuse seynoise vient de me dire qu’elle participait à l’atelier de chant du Cercle Occitan de La Seyne sur ton conseil, malgré les nombreux kms que cela l’oblige à faire.
 
D’autres font quarante kms pour pouvoir participer aux ateliers de chant de Joan Marotta, à Correns. Des chanteurs viennent d’Antibes, jusqu’à Cabris, dans le Var. Oui, le réseau, le groupe dans lequel on se sent bien compte énormément et justifie des sacrifices.
 
Revenons à la langue occitane, fondamentale pour le festival Cantar lo País. Est-elle enseignée dans la région ? En particulier aux enfants qui viennent chanter par centaines au festival ?
 
J’ai toujours écho de difficultés. Cela semble permanent, éternel ! A Draguignan, une école primaire où la langue était dans le projet fondamental de l’équipe pédagogique a un mal fou à se maintenir. 

Chaque restructuration est un danger. Le cours de provençal du collège de Fayence se maintient, mais il faut veiller.

L’enseignement du provençal se fait toujours dans la difficulté, il semble éternellement précaire. On doit veiller sans cesse. Il réclame une attention permanente de ses soutiens.
Si le dimanche est consacré aux groupes choraux, le samedi lui, laisse les écoliers donner de la voix (photo Cantar lo país DR)

Samedi 25 Avril 2015
Michel Neumuller