Utopies catalanes et immobilisme espagnol

La publication de cette analyse sur le mensuel de décembre-janvier a souffert d'un problème de composition. La voici dans son intégralité pour tous nos lecteurs


No hay mal que por bien no venga…La crise en Catalogne révèle en fait une crise espagnole : ne rien changer et manquer le rendez-vous de la créativité qu’induit une Europe construite autour de métropoles d’initiatives.



Henri-José Delofeu (photo MN)
La forme politico-économique à venir de l’Europe et du monde se fera autour de capitales métropoles, comme Paris, Londres, Berlin, mais aussi Prague, Vienne....plutôt qu’autour d’Etats nations. L’Europe performante sera la fédération de grandes régions autonomes d’une population d’environ 7 millions d’habitants autour d’une métropole. La Catalogne entre dans ce format.
 
Dans cette perspective, développée dans le livre de Raül Romeva, économiste de l’ex gouvernement catalan, Som una nació europea (i una carpeta incòmoda): Catalunya vista des d'Europa – ed. Rosa dels Vents 2014, le problème en Espagne, c’est la concurrence Madrid-Barcelone. Madrid, capitale politique et financière, prend le pas sur Barcelone. Barcelone reste le principal foyer de recherche et d’innovation en Espagne, mais la politique du gouvernement central compromettra cette situation. L'argument des indépendantistes est que ce déséquilibre ne pourra que s’aggraver, au point de rendre sans objet l’autonomie, autour d’une capitale « régionale » rendue sans réel rayonnement au sein d’une Europe Fédérale. 

Incompréhensions européennes

Autour de l'ex-président de la Generalitat Artur Mas, le personnel du service aux entreprises observent un quart d'heure de grève symbolique, le 2 octobre, en signe de protestation contre les violences policières de la veille (photo MN)
Les Catalans avaient anticipé ce danger en pactant l’Estatut de 2006. Il répartissait mieux le pouvoir et les moyens entre Madrid et Barcelone, permettant un double foyer de développement, utile à tous les Espagnols et à l’ensemble de l’Europe. L’accord du Gouvernement central socialiste montrait que cette analyse rationnelle était partagée. Pour des raisons idéologiques et de préservation des avantages financiers tirés de l’exercice du pouvoir, le Partido Popular a révoqué en 2010 ce compromis. Il le fit déclarer inconstitutionnel par le tribunal constitutionnel, à la composition remaniée dans un sens favorable à ses idées.
 
Le Gouvernement central n’a jamais voulu reconsidérer sa position. Là sont les causes directes de la crise que traverse l’Espagne. La seule parade des instances politiques catalanes, pour éviter la subordination économique et financière à Madrid, a été de mobiliser les catalans pour une indépendance, sur des bases qui combinaient réalisme économique et sentiments  nationaux. Cependant, dans une Europe marquée par la montée des nationalismes réactionnaires, cet indépendantisme constructif ne pouvait être ni compris ni soutenu par les Etats. Certains y ont vu un risque de déstabilisation, surtout dans le contexte inattendu de fragilité de l’axe franco-allemand. La déclaration d’indépendance n’est pas arrivée au bon moment. Le pouvoir central a bénéficié d’appuis de circonstance.
 
Ne parlons pas ici de résurgence du Franquisme. Le garrot n’a rien à voir avec l’incarcération dans des prisons modernes. Ce que révèle en fait la maladresse et une certaine incompétence à gouverner de l’équipe Rajoy, c’est bien l’incapacité à construire un système éducatif performant, à former des élites politiques responsables et compétentes, qui puissent maîtriser une situation de crise politique. 

Un système éducatif indigent

Une solution fédérale à l'Allemande ? Le comportement violent et ouvertement anti-catalan de l'Etat éloigne cette perspective
Un souci de réalisme aurait du conduire à envisager un compromis entre l’Espagne et la Catalogne, une solution fédérale à l’allemande, ou à l’italienne (Milan peut, dans le cadre des avancées du récent référendum, devenir pleinement  métropole capitale sans détenir le pouvoir politique). La Catalogne voyait alors une sorte de retour vers la situation de 2006, lui permettant toutes les initiatives économiques et financières ; et surtout de développer par la recherche et l’innovation des infrastructures économiques qu’elle possède déjà. Pour aller dans le sens d’un tel compromis, le gouvernement Catalan pouvait proposer lui-même des élections où cette position pouvait être majoritaire. La pression de la CUP, altermondialistes utopiques naïfs, a éloigné ce choix. Ainsi l’initiative a été laissée au camp du PP et de M. Rajoy. Sous couvert de défendre la légalité constitutionnelle, ce dernier préserve en fait un système d’immobilisme, au détriment de la créativité.
 
Par son incapacité à construire un système éducatif performant (la seule université espagnole des 150 premières du classement de Shanghai est la privée catalane Pompeu Fabra) l’Etat hypothèque gravement l’avenir des jeunes générations. La seule voie vers la réussite sociale qu’il favorise est celle de la finance facile, de la corruption et de l’abus de biens publics, espagnols et européens.
 
L’exemple allemand, qui sera sans doute bientôt suivi par l’Italie, montre que le choix d’organisation fédérale de l’état permet d’allier initiative locale et coopération dans un espace politique commun. Une Espagne organisée sur le modèle d’un état Fédéral, apaiserait les tensions intérieures, et surtout contribuerait à faire avancer l’idée  d’une Europe fédérale. 

Une Espagne fédérale à l’avantage européen

Pour qu’un tel objectif ne soit pas qu’une respectable utopie, il faut montrer qu’il est réaliste au sein des Etats nations actuels. Le Fédéralisme a une solide tradition en Catalogne. Il est significatif que les commentateurs, journalistes ou hommes politiques, ne relèvent pas la différence entre la revendication d’une autonomie au sein d’un Etat européen et des revendications proprement nationalistes antieuropéennes que développent les partis populistes de Flandres, Autriche et France… Cette confusion volontaire dit le manque d’ambition des dirigeants  européens au sujet de l’avenir de l’Europe.
 
Au-delà du conflit de façade légalité-légitimité, le seul thème qu’abordent les débats médiatiques, il faut comprendre comment la jeune démocratie Espagnole peut atteindre sa maturité, en donnant à tous les citoyens de cet Etat les moyens matériels et intellectuels d’exercer leurs droits, et de s’y épanouir. Une proposition concrète dans ce sens serait la création d’un Fonds national -Fédéral !- d’aide à l’innovation industrielle et technologique, sociale et éducative. Il appuierait les projets innovants de chaque Communauté et aiderait à la diffusion de leurs résultats sur l’ensemble de la Fédération.
Manifestants pacifiques à Barcelona le 2 octobre 2017. Un Etat qui se réforme assez pour miser plus sur l'éducatif que sur le répressif ? (Photo MN)

HJ Delofeu est linguiste, professeur honoraire de l’Université d’Aix-Marseille
 
 

*détenu par la Justice depuis le 4 novembre pour sédition, Ndlr.

Vendredi 5 Janvier 2018
Henri-José Delofeu