Robert Lafont, haute conscience d'une histoire


Les actes du colloque consacré à l'intellectuel disparu en 2009 sont publiés par Trabucaire. Organisé par Gardarem la Tèrra à Nîmes en septembre 2009, ce colloque avait invité Philippe Langevin à placer l'oeuvre du régionaliste dans sa dimension mondiale. Extrait.



Philippe Langevin (photo MN)
Le vrai territoire de Robert Lafont est le territoire du monde. Car ses écrits ne s’adressent pas exclusivement aux Occitans, aux Catalans ou aux Européens. Ils ont une portée universelle tant il est vrai que dans un monde dominé par l’économie qui ne connait ni frontières ni cultures, ni régions, ni même territoires, tout son travail s’adresse avec la même intensité aux peuples privés de la capacité de vivre leur propre culture, de parler leur langue, de décider de leur destin dans tous les continents.

Régionaliste et citoyen dans le monde

Robert Lafont dans les années 2000 (photo Georges Souche DR)
Robert Lafont a analysé à maintes reprises les implications territoriales d’un capitalisme sans retenue qui ne fonctionne que sur des taux de rentabilité, qui marchandise toute relation, qui donne un prix aux paysages et une valeur quantifiée aux relations sociales. Encore que, trop affaibli, il n’a pas pu tirer toutes les conséquences de la crise financière, économique et sociale de la fin des années 2008 qui accélère le désenchantement du monde et annonce une crise majeure qui est encore devant nous.
 
Rarement, des hommes de cette trempe auront su asseoir leur démonstration sur une connaissance encyclopédique de l’histoire, notamment médiévale. Peu d’entre eux auront su mobiliser leur capital de connaissance linguistique pour conduire leurs lecteurs vers ce qui semble des évidences, la colonisation du monde non seulement par des Etats par rapport à leurs régions mais aussi par des entreprises  par rapport à leurs Nations. Robert Lafont était tout sauf un écrivain régionaliste, un apôtre des terres perdues, un artisan du retour au passé, un amoureux de la ruralité. Il ne chantait pas un territoire. Il appuyait ses démonstrations sur des réalités tangibles, mesurables mais tronquées par des analyses nationales de l’histoire de France ou de l’Europe. A partir de faits connus replacés dans un nouveau contexte, il amenait ses lecteurs vers de nouvelles interprétations. Il dégageait des logiques mal perçues, des causalités peu mises en évidence, des enchainements inattendus avec la rigueur d’un physicien. Il n’a jamais mélangé ses talents de romancier avec ses relectures des histoires nationales.
 
Occitan, il n’en était pas moins citoyen du monde, apte à en saisir les mouvements et en disséquer les enchainements. Il n’hésitait pas à traiter les Français de cons et les Occitans de couillons (2005). Ses « vingt lettres sur l’histoire » n’épargnent personne.
-          les cons sont du coté de l’Etat souverain englué dans sa superbe
-          les couillons sont du coté des Occitans. Ce sont des innocents.
Pour ces Messieurs de France, « j’aurais vécu le pied à l’étrier en tirant sur les rênes »
Pour les frères Occitans «  dans nos défaites, vous avez votre part de sottises ».
 
Robert Lafont sera toujours du coté des peuples meurtris, colonisés, privés d’histoire, interdits de langues non seulement en Occitanie ou en Bretagne mais dans toutes les régions du monde. Ses leçons Européennes nous apprennent que le destin perdu de l’Occitanie n’est pas un accident de l’histoire mais inscrit dans un vaste mouvement de globalisation de l’économie et de centralisation du pouvoir. Bien d’autres régions, en France et ailleurs, ont connu le même destin. Dans le combat qui n’aurait jamais du avoir lieu entre économie et culture, c’est toujours l’économie qui gagne.
 
Ses « vingt lettres sur l’histoire », après, dix ans plus tôt, son « La Nation, l’Etat, les Régions » de 1993, sont publiées alors que le monde est entré dans une mondialisation sans limite dominée par un capitalisme financier, la recherche de la rentabilité du capital à court terme, la cupidité des uns et l’ignorance des autres. Ce formidable élargissement du monde, engagé par un accroissement considérable des mobilités, facilité par les outils modernes de communication aurait pu être une chance : celle de connaître et partager toutes les cultures du monde. Ce ne fût pas le cas. Bien au contraire, la mondialisation a facilité la disparition des territoires de la culture pour ne connaître que ceux de la finance. L’arrivée sur la scène internationale de pays émergents comme le Chine, l’Inde, le Brésil ou la Russie s’est accompagnée pour les peuples de ces pays de la disparition de leur identité. Le productiviste, la recherche de la compétitivité à tout prix quelles que soient ses conséquences sociales ou simplement humaines, la place accordée aux systèmes boursiers et financiers  sont devenues des valeurs universelles. Plus personne n’y échappe. On peut même se demander si les Etats et encore davantage les Régions ont encore un sens économique..
 
Cette mondialisation qui érige en références la spéculation, qui uniformise les comportements, qui unifie les consommations, qui fait converger les modes de vie vers Mac Do ou Coca Cola dans les coins les plus reculés de la planète n’était pas le monde de Robert Lafont. Le risque est grand, comme les évènements récents sont venus le rappeler, de la disparition rapide des territoires eux-mêmes devenus de simples lieux de redéploiement du capitalisme mondial alors que les Etats ne contrôlent plus rien. La remise en cause de l’Etat Nation ne sera pas le fait de la montée du pouvoir des régions, de la décentralisation ou de la volonté des collectivités territoriales mais bien celui d’un système économique qui s’est retrouvé en 1989 en situation de monopole après la chute des économies socialistes sans qu’aucune autre alternative ne soit proposée à des peuples qui ont perdu, avec leur histoire et leur langue, leur solidarité.

"La vie a droit à la vie"

 
Le choix du plateau du Larzac, en août 2003, n’avait rien d’anodin. Vingt ans plus tôt, le plateau avait été le théâtre d’un formidable mouvement de résistance paysanne à un projet d’implantation militaire. Ce combat avait été gagné.
 
Le rassemblement de 2003 de milliers de personnes, notamment de jeunes qui n’avaient connu ni 68 ni Lafont, qui n’étaient jamais monté sur le Larzac, pour dénoncer les conséquences de la course effrénée à la croissance économique dans un monde fini, l’hégémonie des entreprises et les dégradations de l’environnement a eu un grand retentissement. Cette mobilisation « contre la guerre et pour la vie » était adressée « aux peuples de la terre ».
 
Robert Lafont en fut, fidèle  à ses convictions. Le forum ne s’est pas limité aux questions de culture, de gouvernance ou d’aménagement du territoire. Il a placé la barre beaucoup plus  haut. Dans sa déclaration finale, il proclame que le peuple de la terre :
-          a droit à la vie quels que soient son lieu d’habitat et son degré de développement économique et social. Son objectif est la gouvernance universelle.
-          a droit à un territoire, à un pays, à une langue, à une culture. Son objectif est l’autonomie universelle car « la vie a droit à la vie ».
 
Par la suite, le forum du Larzac s’est structuré en un véritable mouvement altermondialiste, tant il lui semblait évident que cette rencontre était un début et non un achèvement et que l’offensive libérale et l’échec avéré des mouvements d’anticipation appelaient à d’autres formes de combat.
 
Aujourd’hui, « Gardarem La Tèrra » se positionne comme un forum social. Il fonctionne au consensus autour de la construction d’alternatives au libéralisme et en réseau en mobilisant des acteurs venus de toute la France. En pratiquant d’autres formes de mobilisation que celles de la panoplie classique des syndicats ou des partis politiques, « Gardarem La Tèrra » :
-          organise des « tours de langues » en allant au devant des villes et des villages
-          demande aux autorités françaises de considérer les langues et les cultures des territoires comme un véritable « trésor de l’humanité »
-          s’appuie davantage sur des collectifs que sur des organisations pérennes de la démocratie sociale.
 
Robert Lafont était évidemment un homme de gauche. Il n’a pour autant jamais cessé de regretter l’affaiblissement doctrinal et  les engagements économiques des partis de son propre camp. Il faisait partie des peuples de la terre. Comme il voulait une autre régionalisation, il voulait une autre mondialisation. A ce titre, il était complètement altermondialiste.
En septembre 2007 Robert Lafont se voit décerner le Grand Prix Littéraire de Provence, à Ventabren (13), par l'intermédiaire de Serge Bec, car l'écrivain qu'on fête est alors hospitalisé (photo MN)

A lire  : Robert Lafont, la haute conscience d'une histoire - actes du colloque de Nîmes - Gardarem la Tèrra
Gardarem la Tèrra & Association Internationale d'Etudes Occitanes - éditions Trabucaire -  206 p. 18€
Editions Trabucaire,  2 rue Jouy d'Arnaud - 66140 Canet en Roussillon, tel. 04 68 73 17 66 et trabucaire@wanadoo.fr  

Samedi 6 Avril 2013
Philippe Langevin