Moussu T. e Lei Jovents dénichent le jazz chez Scotto

Le concert "Opérette" est encore proposé jeudi et vendredi au Kabarouf d'Avignon


Avec Opérette, Moussu T. e Lei Jovents se sont attachés à retrouver ce point particulier de la rencontre entre musiques italiennes, afro-américaines et provençale…sur les scènes parisiennes des années 1930. Le double album donne aussi à entendre les originaux.



Moussu T e Lei Jovents (XDR)
« Dans ma petite calanque », « Le plaisir de la pêche », l’incontournable « Adieu Venise provençale » et le plutôt poujadiste « Fais pas le couillon » ont laissé un souvenir. Les opérettes dont ces morceaux d’anthologie sont tirés en ont moins semé. D’ailleurs, si on entend encore ces chansons, on ne donne plus, ou pratiquement, les opérettes qu’on se pressait d’aller voir et écouter…à Paris dans les années 1930.
 
Car les airs d’opérettes que reprennent, avec batterie et banjo, Moussu T. e lei Jovents, sont le produit d’une demande du public parisien d’alors. Le bonheur de vivre supposé d’ « Entre Marseille et Toulon » que chantait Alibert, fait rêver le populo parisien en 1936. Et ce rêve lui était alors dessiné par des équipes marseillaises.
 
A Marseille, ce sont les Revues qui attiraient le public. « Et les auteurs y calaient presque toujours une chanson en occitan, car le public le demandait » rappelle Claudi Barsòtti, auteur d’une étude sur le sujet et grand collectionneur de ces enregistrements.
 
« Pourquoi ne pas s’y essayer à Paris ? C’est ce que dit Henri Alibert au début des années 1930 ». C’est par cette question que le journaliste, et mémoire de la musique marseillaise, Jacques Bonnadier, explique le succès de l’Opérette dite « marseillaise » dans la présentation qu’il fait du double CD de Moussu T. « Opérette). 

Scotto, Alibert, Sarvil...

Double CD: celui avec Moussu T. et celui des originaux (photo XDR)
Alibert avise un théâtre en difficulté financière, en parle à son beau-père qui n’est autre que Vincent Scotto…on mobilise une équipe marseillaise exilée, et si le succès est au rendez-vous du côté du Boulevard de Clichy, il ne le sera que vingt ans après à l’Alcazar de Marseille.
 
Les films de Pagnol n’ont pas connu un autre destin. Faits pour plaire aux Parisiens, cette image partielle, voire fausse, sera appropriée, à la génération suivante, par les Marseillais, persuadés de se voir – ou de s’entendre - plus vrais que nature.
 
Alors que vient faire dans ce pastis Moussu T., dont le credo est de remettre l’occitan et le mode de vie populaire provençal maritime au cœur du projet artistique ?
 
Le groupe, depuis mi-juillet, donne à entendre ces chansons d’opérettes à Avignon, au Kabarouf (1250 chemin des Canotiers, sur l’ïle de Barthelasse – kabarouf@gmail.com et 06 31 38 39 56) avant que de s’y essayer à La Ciotat le 9 août, à St-Cyr le12 septembre, à Port-de-Bouc le lendemain, et le 19 à Marseille Cité de la Musique).

Entre musiques afro américaine et italienne l'opérette marseillaise ?

Alibert, il a eu l'idée, en a parlé à Vincent Scotto, son beau-père. Puis, avec une còla marselhèsa... (photo XDR)
En fait Moussu T. n’a jamais fait mystère de sa filiation avec l’œuvre de Vincent Scotto. Et le fait que la musique marseillaise soit créée au loin ne gêne pas le moins du monde le groupe. Au contraire, comme nous le dit le chanteur Tatou.
 
« Ce qui nous fait créer c’est l’idée que la rencontre est à la base de nos traditions. La lecture de Banjo (le livre beatnik de Claude McKay, écrit dans les années 1920, ndlr) nous a profondément marqué et nous cherchons les traces de cette rencontre entre musique afro-américaine, chanson napolitaine et marseillaise. »
 
« L’opérette marseillaise c’est la rencontre avec le jazz, et le choix de nos chansons, dans le répertoire assez énorme de l’opérette marseillaise, a été marqué par ce désir de recherche de ce rêve marseillais. Cette recherche remonte en fait aux fondamentaux de Massilia Sound Systèm.  »
 
Dès la première K7 audio autoproduite du groupe, qu’avait aussi créé Tatou, en 1989, on trouve « Zou un peu d’aïoli  ». Et, plus ou moins, chaque CD de Moussu T. rendra hommage à l’œuvre de Scotto. « Forever polida », « A La Ciotat » (Mademoiselle Marseille) ou « A La Ciotat – part.2 » (Home Sweet Home) en sont des exemples.

Tradition marseillaise réappropriée après exposition à Paris...

Vincent Scotto (1874-1952)
Pour Tatou, c’est donc la sélection de morceaux rendant compte de cette rencontre interculturelle marquée par le jazz qui fonde le projet artistique d’Opérette. « C’est la raison pour laquelle on n’y trouve pas d’occitan, même si celui-ci est régulièrement présent, notamment grâce au parolier René Sarvil, qui collaborait avec Scotto. »
 
Tatou n’exclut pas d’ailleurs d’aller voir, plus loin dans le temps, ce qu’il en est des chansons en occitan des Revues marseillaises. Mais à chaque année suffit sa peine. Et s’il valorise actuellement un répertoire concocté pour le public parisien des années 1930, Moussu T. s’en délecte avec un sourire en coin.
 
«  Cela nous renvoie une image réappropriée de notre tradition. Elle était déjà cosmopolite, et le fait qu’elle ait été alors portée d’abord vers l’universel – c’est-à-dire à l’époque à Paris – pour coller ensuite à ce que les Marseillais imaginaient être, c’est un processus qui fait la nique aux idées de pureté. Et en fait, ça, ça me plaît bien ! » s'amuse Tatou.

A noter que le CD, à la livrée « façon 78 tours » est doublé – la bonne idée ! – d’un second, qui donne à entendre les originaux chantés par Alibert, Rellys et Darcelys. On y a même parfois droit à plusieurs versions, pour mieux goûter les différences de style entre interprètes. 

07 Piste 7 Fais pas le couillon, par Darcelys.mp3  (2.87 Mo)


Lundi 21 Juillet 2014
Michel Neumuller