Michaël Dian : « L’activité culturelle est un structurant des territoires »

Le directeur du Festival de Chaillol répond à nos questions sur le mouvement des intermittents


CHAMPSAUR. Le Festival de Chaillol va déployer son programme du 17 juillet au 12 août…si la grève des intermittents du spectacle ne compromet pas la manifestation. Directeur (et créateur voici 18 ans) de ce festival inscrit dans un territoire de montagne, éloigné des centres culturels habituels, le pianiste Michaël Dian, est également impliqué dans le mouvement des intermittents. Position délicate à partir de laquelle il réagit à notre dossier de façon pédagogique.



"Le travail continue entre deux emplois : on compose, répète, se forme..." (photo Festival Chaillol DR)
Votre festival en montagne est loin des centres urbains. Fait-il largement appel aux contrats d’intermittence ?
La plupart des artistes que nous engageons sur une saison sont des intermittents. Précisons que l'intermittence n'est pas un statut, mais un modalité de l'indemnisation chômage spécifique aux artistes et techniciens.
 
Lorsqu'un musicien donne un concert au festival de Chaillol, il signe, pour la seule journée de sa performance, un contrat à durée déterminée dit d'usage. Dans un même mois, il aura d'autres employeurs, sera salarié durant un ou plusieurs jours consécutifs et connaîtra aussi des jours chômés. 
 
C'est à cette discontinuité de l'emploi - qui ne signifie pas discontinuité du travail, puisqu'un artiste répète, étudie, se forme... - que répond le système de l'intermittence.

Développement des territoires et exigence démocratique

Les manifestations culturelles telles que le Festival de Chaillol pourraient-elles se passer d’aides publiques ?
Nous avons évidemment besoin d’aides publiques, qui sont une part essentielle du budget de nos actions. Mais s'étonne-t-on que d'autres secteurs de l'économie française en bénéficient, sans toujours apporter la même valeur ajoutée.
 
Savez-vous, par exemple, que la contribution de la culture au PIB de notre pays est sept fois supérieure à celle de l'industrie automobile ? Envisage-t-on de ne plus subventionner l'agriculture ?
 
En vérité, nombre de structures culturelles répondent à des missions de service public, d'aménagement et de structuration culturelle des territoires.
 
En plus d'être une condition indispensable à la vitalité et au développement économiques, la culture relève d'une exigence démocratique, a fortiori dans des régions éloignées de l'offre culturelle, et, en France, la puissance publique a toujours considéré qu'elle devait intervenir pour soutenir et accompagner les évolutions de ce secteur.
On interprète Mozart dans la vallée du Champoléon (Festival de Chaillol, août 2006, photo MN)

On commence bénévoles, petit à petit on devient emblème du pays

Vous avez débuté en proposant des concerts où les gens donnaient ce qu’ils voulaient.
Beaucoup de grands festivals sont le fruit d'initiatives individuelles. Portés par le désir, les choses se professionnalisent peu à peu, une fois la confiance du public et des institutions acquises, ou disparaissent si elles n'y parviennent pas.
 
Les premières années, le festival de Chaillol était organisé pratiquement sans argent, par une dizaine de musiciens, dont beaucoup, déjà intermittents, pouvaient décider de consacrer, bénévolement, un peu de leur temps pour soutenir une initiative balbutiante, dans une petite commune des Hautes-Alpes que rien ne prédisposait à la musique.
 
Près de vingt ans plus tard, le festival de Chaillol est devenu l'une des manifestations les plus emblématiques du territoire, qu'il valorise auprès d'un public venu de la France entière.
 
En se développant, le festival de Chaillol a qualifié culturellement le territoire et lui a offert une visibilité dans les médias nationaux.
 

Les abus existent, les moyens de contrôle aussi. Alors ?

Le régime de l'intermittence du spectacle est propre à la France et à la Belgique. Aussi le groupe occitan des Valladas d'Italie Lou Seriol n'en bénéficie pas. Etendre le système à l'Europe ? (photo MN)
Les contrats d’intermittents sont souvent utilisés là où un contrat durable devrait être proposé. Trop d’intermittence ne tue-t-il pas l’intermittence ?
Tout système génère ses abus, contre lesquels il faut lutter. Mais sérieusement, envisage-t-on de supprimer l'Assurance Maladie parce que certains abusent des arrêts de travail ?
 
Oublie-t-on les bénéfices considérables de cette flexi-sécurité - car l'intermittence n'est pas autre chose... - pour la vitalité culturelle de notre pays ?
 
Par ailleurs, les moyens et les outils du contrôle existent. Qu'ils soient utilisés, et notamment, dans le secteur audiovisuel et la télévision qui en profitent indûment et en abusent systémiquement...

Un évident mépris pour les propositions réformatrice des intermittents

Comme organisateur, craignez-vous l’annulation de votre festival cet été ?
À la veille d'un agrément qui est annoncé, la plupart des organisateurs sont inquiets mais surtout tristes et souvent choqués : pourquoi n'avoir pas pris le temps d'écouter les premiers intéressés qui, depuis 10 ans, et avec l'appui de parlementaires de tous bords, ont travaillé avec une grande rigueur sur une autre réforme, plus équilibrée, plus juste.
 
Les accords contestés n’ont pas tenu compte de leurs propositions, qui n'ont même pas été étudiées, signés par des syndicats non majoritaires dans la profession... L’indignation et la colère des intermittents est justifiée.
 
Mais ce mouvement social n'est pas corporatiste puisqu'il dénonce tout autant le sort fait aux intérimaires et aux chômeurs non indemnisés.
 
Ce qui est en jeu, c'est la sécurisation des parcours professionnels dans un contexte marqué par la précarité, qui est loin de ne concerner que les artistes et techniciens. 80% des contrats signés actuellement dans notre pays sont des contrats précaires.
 
D'ailleurs, le mot d'ordre des intermittents est très clair : ce que nous défendons, nous le défendons pour tous. 

Lire aussi : Escafar l’intermiténcia que fa viure la Provença ?

Mercredi 25 Juin 2014
Michel Neumuller