Massilia Sound System selon Gari Grèu

Trente ans d'appels à la liberté à travers l'idée occitane d'une société conviviale


MARSEILLE. Monté un jour sur la scène du Massilia, il n'en redescendra plus. Nous avons rencontré Gari Grèu...Laurent Garibaldi à la ville, à l’occasion du trentième anniversaire du Massilia Sound System. Au fil de la conversation, des mots clefs permettent d’évoquer le groupe, où chacun poursuit ses projets, et se retrouve pour, par exemple, graver un CD. C’est ce qu’ils viennent d’ailleurs de faire.



Trente ans à mettre le Òai en toute Libertat! (photo XDR)
Chourmo. C’est surtout pas un fan club ; rien à voir. La Chourmo ce sont des acteurs qui organisent des évènements conviviaux, comme un concours de pétanque ou une sardinade. La Chourmo est une alternative au canapé-télé. Au départ c’était un réseau, qui permettait de dormir à Toulouse ou Paris, puis de gens qui collaient des affiches du Massilia. La dynamique a fini par créer des associations un peu partout. Aujourd’hui il y a 3000 personnes en Europe dans la Chourmo. Lux B. et moi, on en faisait partie ; un jour on est monté sur scène, et on en est plus redescendus. La Chourmo nous a donné une ligne de vie.
 
Epoque. Avec notre nouveau disque, on est en phase avec notre époque. C'est celle d'une France sans solidarité et aux communautés exacerbées. Vois ces 3000 Roms qui dorment dans la rue chez nous, et tout ce qui est fait par les autorités c’est de mettre des palissades pour qu’on ne les voie pas. A Ouagadougou, où je suis allé, la ville est pauvre, mais je n’y ai pas vu un seul SDF. Quand je leur expliquais les Roms, ils hallucinaient.
 
Grosse tête. C’est quelque chose qui ne nous est jamais arrivé, ce pétage de  plomb : les autographes, les groupies, l’entourage qui te monte le citron… C’est notamment la Chourmo qui nous l’a évité. Avec elle on baignait constamment dans le quotidien, le monde réel.

Gari Grèu : "La Chourmo a compté pour nous éviter tous les pièges" (photo MN)
Inspiration. La Chourmo, encore ! Tu comprends, quand énormément de gens te racontent leur vécu, la vie, leurs émotions, ça soutient ta faculté à la création. Cette fraîcheur, aurait-elle durée sans eux ?
 
Marseille-Provence 2013. On m’a demandé d’en composer la chanson. J’avais les mains libres, alors pourquoi pas ? Ceci-dit, si les équipements urbains sont sympas, c’est resté gris, on s’est peu amusés, et l’année finie, et bien c’est retombé. On n’en attendait rien, on a bien fait.
 
Occitan. Tatou, invité par les Fabulous Troubadours, se trouve con de n’avoir rien à chanter en occitan, et compose dans la nuit « Balin-Balan ». C’est un Parisien, arrivé ici à 18 ans, à qui sa nounou parlait occitan, qui avait tout lu sur les cathares, qui m’apprend à moi la langue du pays alors que je suis originaire de la Belle de Mai ! Voilà, tout est dit, nous sommes vaccinés contre les liens du sang, et on a évité le repli sur soi…

Passion. J’ai jamais su comment on peut vivre sans passions. J’ai choisi de faire des études d’architecture (tout comme le guitariste Blu !) par passion, et je les  ai abandonnées en découvrant Massilia, par passion encore. Personne au Massilia n’est venu pour décrocher un disque d’or. On était une réunion de « deguns » qui se sont rendu compte qu’ensemble tout était possible. Et ça, c’est passionnant.
 
Radio. Tatou et Lux B. étaient d’abord des animateurs de radio. Tatou a même travaillé pour une radio commerciale. Ça peut expliquer cette spontanéité et cet art d’intervenir. Au début, quand on arrivait sur scène, les mecs qui installaient le matériel nous regardaient comme des extra-terrestres, nous qui arrivions avec juste deux électrophones et un micro…
 
Renouvellement. Souviens-toi, la première chanteuse du Massilia, Clarence, chantait : « à Marseille il y a du miel, mais où sont les abeilles ? ». Et Papet J, dès 1986, composait « Ma ville tremble ». On pourrait chanter tout ça aujourd’hui encore. Ça ne dirait pas tant le génie des auteurs que la permanence du déficit de vision de nos élites.

Ce soir à l'Alcazar de Marseille et demain jeudi aux Docks (photo XDR)
Séparation. Non, on ne s’est pas séparés, on gère la rareté, en menant chacun de notre côté des projets qui nous font plaisir. Moi avec Oai Star ou Moussu T avec Lei Jovents…ça valait mieux que d’enchaîner disques et tournées par habitude. On ne s’est pas séparés comme d’autres pour des raisons de droits d’auteurs, mais pour pouvoir mieux faire durer le projet commun.
 
Sicre (Fabulous Trobadors). Claude est parti de la tradition pour aller vers la modernité ; pendant que Massilia faisait l’inverse en partant du rub a dub pour aller vers la tradition, l’occitan…les deux sensibilités se sont rencontrées chemin faisant. Claude nous a beaucoup apporté, un des grands hommes de notre vie. Il a toujours été très présent, et m’a  vraiment épaulé quand j’ai créé Oai Star.


 

A lire et à écouter

Massilia, CD avec14 titres, excellents, enregistré à Marseille, et masterisé à La Ciotat par Lionel Delannoy (L’Estudio) pour le label Manivette Records. Sera disponible au 21 oct. Plus de détails ici

A lire, à partir du 21 oct. : Massilia Sound System - la façon de Marseille, Camille Martel, ed. Le mot et le reste, 395p. 24€. Camille, qui est aussi musicien (Doctors de trobar) et pas encore trentenaire, détaille chronologiquement la vie du groupe en mettant en valeur les points signifiants majeurs d'évolution. Style concis, journalistique. Très documenté. Pour qui veut sentir l'énergie durable du Massilia et les pulsations d'un Marseille qu'ils mettent au centre du monde.

Mardi 14 Octobre 2014
Michel Neumuller