Madalena aux pieds du Christ mais hauts les choeurs avec Manu Théron


Le fondateur du Còr de la Plana passe du temps dans les archives. Il en a exhumé un cantique interdit en 1712, dans lequel les femmes chantent avec allégresse Marie Madeleine. Avec une musique « maison » et ce texte en occitan populaire du XIIè siècle, il convie 23 femmes à renouveler cette dévotion, qui doit peut-être autant à Artémis qu’à la Chrétienté.



Marie-Madeleine, pêcheresse repentie en prêche à Marseille (Musée du Vieux Marseille DR)
Voici plus de dix ans, dans le quartier Saint-Charles, Manu Théron passait son temps derrière les énormes écrans des Archives municipales de Marseille.
 
A l’époque, les chansons anciennes qu’il exhumait, pouvaient être déchiffrées à condition de glisser des centaines de fiches micro filmées  dans l’appareil. La numérisation était en cours mais il y en aurait pour longtemps…
 
« Je tombe alors sur un texte chanté le vendredi saint place desTreize coins, alors place de l’Image (quartier du Panier, ndlr). On l’appelait ainsi en raison d’une pierre figurant une femme prêchant. Sans doute une allégorie à la parabole des débiteurs, qu’on trouve dans l'Evangile de Luc ».
 
L’image du prêche  avait pu être associée à la conversion des Marseillais au christianisme. La tradition met cette dernière au crédit de Marie Madeleine, celle-là même qui essuie avec ses cheveux les pieds du Christ en croix.On l’a donc vénérée longtemps.

« Jusqu’au XVIIIè siècle, quand l’une des manifestations de la contre-réforme a assimilé cette vénération à de la superstitition. Monseigneur de Belsunce l’a faite interdire. »

La Mal Coiffée, Misè Babiha, la Roquette...

Manu Théron : "Magdalena avait quelque chose à voir avec l'Artémis d'Ephèse"...pas très catholique tout ça! (photo MN)
L’interdiction date de 1712, et serait due à l’impudeur affichée des femmes, soulevées d’enthousiasme en chantant : « Allegron si los peccador / Lauzan santa Maria / Magdalena devotament / Ella conoc la sieu’error, /Lo ma que fach avia, / Et ac del fuec d’enfer paor / Et mes si en la via / Per que venguet a salvament / Allegron... »
 
C’est ce texte en occitan populaire du XIIè, voire du XIIIè siècle,, qui sera exhumé par le créateur et semeur de nombreux chœurs occitans en Provence.
 
Entre autres, l’Eglise de Correns (83) l’entendra bientôt, dans des conditions assez particulières.

Car au moment des Joutes Musicales, le dimanche 8 juin prochain, ce festival hors normes des musiques traditionnelles de création, mettra Manu Théron sur scène avec 23 chanteuses issues de chœurs d’expression occitane de la région.
 
La Mal Coiffée, La Roquette, les Super Belles, Misè Babiha, ces noms vous parlent ?

Vous les avez au moins rencontrés sur notre site.  Leurs choristes, ce sont : Marie Coumes, Hélène Arnaud, Myriam Boisserie, Karine Berny, Letitia Dutech, Hélène Pagès, Iza François, Camille Simeray, Colette Guilhem, Lise Borki,  Dalèle Muller, Fanny Tulasne, Gaëlle Levêque, Mélodie Perrin, Audrey Peinado, Magali et Magalona bizot, Annie Maltinti, Caroline Tolla, Carole Lazzeri, Muriel Chiaramonti, Géraldine lopez, Marie-Noëlle Pieracci, qui ont toutes rejoint l'aventure vocale.

Plusieurs choeurs de femmes d'expression occitane ont participé à la création. On les retrouvera aux Joutes musicales de Correns en juin 2014 (photo XDR)
« Cela m’a semblé évident, » reprend Manu Théron, « il fallait des femmes pour interpréter ce chant qui fait appel à la personnalité d’une Madeleine qui, à Marseille et dans ce texte, renvoie à l’Artémis d’Ephèse, et plus seulement à Marie. La féminité y est plus sauvage. »
 
Le texte, interdit au début du XVIIIè siècle avait toutefois survécu, dans les archives familiales d’un ancien chanoine.
 
« C’était mal écrit, heureusement fin XIX è, une édition critique recollera les morceaux épars, et remettra en ordre les feuillets rangés de façon incohérente ».
 
Pour la petite histoire, le chantier de la numérisation des Archives Marseillaises empêchera Manu Théron d’avoir accès à cette édition, qui sera consultée finalement sur le site internet de la Bibliothèque de Chicago.

Essaimage de choeurs

On disposait donc du texte, mais pas de la musique. L’artiste devra la créer, avec la Compagnie du Lamparo.

Et le chant a été entendu par le public, à Aubagne en juin 2013, pour la première fois, durant les journées du « Monde est chez nous ».

Il le sera ensuite à l’Estivade de Rodez, durant le même été, après que neuf répétitions aient mis en présence l’ensemble des chanteuses.
 
Manu Théron a découvert le chant traditionnel dans le Mezzogiorno, puis en Bulgarie, et en a rapatrié l’idée à Marseille.

Sa pratique pouvait permettre une réappropriation de leurs repères culturels aux Provençaux, spécialement aux Marseillais dont l’histoire populaire est généralement évacuée par les institutions.

C’est pour cela que l'artiste crée en 2001 Lo Còr de la Plana. L’ensemble ira chanter occitan jusqu’au Carnegie Hall de New York en mars 2012.

De stage en projets, Manu Théron a essaimé véritablement idée et pratique, en favorisant la fondation d’autres chœurs, dont certains qu’on verra sur scène à Correns en juin 2014.

Lire aussi le blog de René Merle
Et aussi l'ouvrage de JT Bory qui en 1861 rend cohérents les textes conservés
Et voir la vidéo de Laurent Benhamou
 
La Création de Madalena, à l'été 2013 (doc. Jeff Bonnier DR)

Lundi 24 Mars 2014
Michel Neumuller