Les musiciens s’appuient sur une canne provençale


Notre canisse, mauvaise herbe honnie, est en fait un trésor musical, en même temps qu’une activité économique potentielle. Henri Maquet prouve, par cire + opinel = décibel, qu'avec ce bois-là on fabrique le bonheur de jouer et de danser.



Une canne, un opinel, une gouge, un peu de fil et de cire...Et tout un monde sonore s'ouvre aux stagiaires d'Henri Maquet, ici à droite (photo MN)
« Ces canisses-là, elles viennent du Mas du Pont de Rousty, en Camargue. Et je suis en train d’en faire un flageolet. Comme tu vois, il suffit d’un Opinel et d’un tour de main…La principale difficulté, c’est encore de ne pas se couper le doigt ! »
 
« Aïe ! » C’est ce que son voisin vient de faire. Vite, un pansement, et on reprend la facture du sifflet.
 
Parmi la quinzaine de stagiaires affairés, penchés sur leur bout de canne de Provence, qu’ils percent de quelques trous carrés, Mathieu se met à souffler devant un téléphone mobile…l’application « diapason » lui indique si le flutiau rend le son voulu. Pas encore ça ; il torture à nouveau le bois blond de son couteau.
 
Yvon, lui, retourne régulièrement en Belgique, d’où il est venu voici longtemps, et y recherche le contact de facteurs d’instruments qui, comme lui, « s’intéressent à tout ce qui produit du son ». Il apprend. Mais avec la canisse, il entretient un rapport particulier. « Il y a, avec ce bout de végétal, un bel empirisme, le hasard fait beaucoup dans la recherche du son ».

La canisse s’exporte avec une belle valeur ajoutée

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C’est ainsi avec la musique issue du végétal. Il faut s’y atteler, puis viendra le bonheur d’avoir « fabriqué un instrument à ta main, qui te ressemble, plutôt que de l’acheter à Paris ou New York, où ils sont tous pareils, et chers » pense Henri Maquet.
 
L’artiste (il marie électronique et instruments traditionnels pour animer des « balètis électro trads ») trentenaire a grandi parmi les canisses. Pour lui elles ne sont pas ces berceaux à moustiques qui envahissent tout. Il parlera plutôt d’un matériau noble. Pour en développer les applications, il a créé l’association Le Roseau Chantant, un organisme d’échange entre passionnés.
 
« On ne trouve pas de plante qui fasse de meilleurs pipeaux ou flageolets. Qui le sait ? Mais de Provence il s’en exporte pour faire les anches de saxophone ou de cornemuses. Préparée pour un facteur d’instrument, cela se vend 150€ le kilo. Une économie pourrait se développer autour de notre fantastique mauvaise-herbe ! »

Un rapport au son unique, puisque le musicien l’a créé

Sophie Jacques : "le meilleur du son relève d'un petit élément, quasi caché, extrait d'un végétal quelconque..ça a un côté fantastique" (photo MN)
Sophie Jacques, comme Yvon, est Belge à l’origine, Occitane aussi, aujourd’hui. Autour de Carcassonne et au-delà, sa notoriété de joueuse de cornemuse est importante. Samedi elle était  à Marseille, au stage du Roseau Chantant.
 
L’anche des nombreuses cornemuses qui animent bals et concerts, du Grand Nord au Grand Sud, est toujours de canisse. Son diamètre et sa longueur détermineront la hauteur du son produit. Il est donc important que l’interprète connaisse les caractéristiques de ces quelques centimètres fibreux , fixés sur le tuyau de la cabrette ou de la bodega.
 
« Le rapport à la matière, et au son qu’on en tire, c’est fantastique » dit Sophie, dans un languedocien parfait. « Le bourdon de ma cornemuse est produit par un petit quelque chose qui reste caché. Mais si le matériau est universel, la manière de placer le biseau, elle, relève d’une recherche d’Henri Maquet, d’un vrai savoir-faire ».
 
Au papier de verre, une stagiaire ponce un morceau arrondi de canisse, gros comme le pouce. Une fois apprêté, il trouvera place sur le bec de la flute de canne, avec un peu de cire d’abeille et un fil. Pas plus.
 
Henri Maquet, lui, regrette de ne pouvoir transmettre ces techniques de fabrication à plus de gens, et plus souvent. Tant mieux, d’un côté, car c’est que sa vie d’artiste créatif est en plein essor. Les balètis électro-trad, le CD qu’il enregistre…

Transmettre un savoir-faire, si stagiaire veut…

Saxo ou siflet, c'est l'anche qui fait le son (photo MN)
« Mais entre les associations et les écoles qui sont demandeurs de ce type d’apprentissage, il y a au bas mot une quinzaine de stages par an à organiser, pour qui voudra s’y mettre. » Un emploi non délocalisable à créer, compte tenu du végétal utilisé.
 
« J’aimerais en former quelques-uns parmi mes stagiaires qui, ensuite, en feraient un métier. Disons que sur cet humus de savoir, quelques tiges pourraient se  développer ! »
 
Entre deux scottishs et mazurkas, le soir même à l’Ostau dau País Maselhès, l’idée aura peut-être germée chez quelques stagiaires. Car la musique du balèti d’après stage n’a compté que sur les anches fabriquées depuis la veille…

Dimanche 6 Mars 2016
Michel Neumuller