La musique occitane doit tout inventer pour (sur)vivre


MARSEILLE. « Quand on n’a que des bons amis… » aurait chanté Moussu T. on peut quand même survivre en division d’honneur. Mais la musique occitane mérite de jouer en première division. Hyper créative et de belle qualité, son pêché originel reste de ne pas parler comme le veut le système. Ce qui l’éloigne de l’Eden. Mais la rapproche de son public, sinon du Paradis. Extrait du débat organisé samedi 5 avril aux Docks de Marseille.



Heureux Stefano Degoianni ! Dans ses Valadas occitanes d’Italie, dans la Vau Stura et partout où son groupe Lou Seriol, se produit, il n’a qu’à parler occitan dans la rue pour être compris et entamer une conversation dans cette langue.
 
Beaucoup aimeraient n'avoir que le problème d'être entendu du public, de ce côté-ci des Alpes…Encore faudrait-il l'être du système, qui vous met sous la lumière ou vous maintient dans l'ombre.

A Marseille où il participait à un débat sur la création musicale occitane*, Stefano Degoianni a pu dire : « l’ennui c’est que la musique occitane qu’on demande chez nous c’est la traditionnelle, celle pour laquelle cent groupes peuvent animer un balèti. Comment créer des choses nouvelles dans cet environnement ? »
 
Avec une musique électrique qui épouse cabrette et accordéon il y réussit magnifiquement, comme le public l’a constaté avec le concert qui a suivi ce débat*, organisé par l’association Salabrum, aux Docks, le 5 avril 2014.
Camille Martel, Stefano Degoianni, Silvan Chabaud, Tatou, Méderic Gasquet, Mélodie Perrin, Magali Bizot et Patrick Meyer lors du débat (photo MN)

Contraint de créer son propre environnement...et d'inventer sans cesse

Tel n’est pas le problème soulevé par Méderic Gasquet Cyrus, animateur de radio et universitaire. Le linguiste estime que le fait d’être compris en occitan par un public n’est pas la question. « C’est un prétexte agité par les radios qui ne veulent pas programmer d’occitan. Or, on ne se prive pas de programmer des chanteurs anglophones, qui ne seront pas plus compris ».
 
Tel n’est pas non plus le problème évoqué par Tatou, le chanteur et compositeur de Moussu T. e lei Jovents, un des fondateurs du Massilia Sound System.
 
Le public qui n’entend pas l’occitan, c’est moins grave que le « système » qui ne veut pas qui que ce soit hors normes.
 
« Tu veux une maison de disque ? Elle ne veut pas de toi, donc tu t’en crées une » a-t-il résumé.  « Tu veux un tourneur, il ne veut pas de toi, donc tu te crée un tourneur…les radios ne veulent pas de toi, tu te crées un public, une chourmo. »

Un contre système se crée par défaut, pour que la musique occitane puisse développer sa voie…
 
Mais on peut aussi trouver des points positifs à l’ostracisme vécu en France par le créateur de musique occitane. « Cette situation nous sauve, sur le plan de la création. Elle nous oblige à inventer. Le tout c’est qu’on devrait pouvoir vivre de cette invention ».
 
Mais voilà, le prix à payer est cher. Le bénévolat est la règle obligatoire, les heures de travail succédant aux heures de labeur n’amènent pas la relative tranquillité d’un revenu en rapport avec les efforts. « On devrait jouer en première division si on ne considérait que la qualité, mais on nous cantonne en division d’honneur ».
 
Le système musical en France laisse la musique occitane à la marge, dans des cases où sont rangées toutes ces musiques « qui ne parlent pas de la réalité comprise par les décideurs ». Ses créateurs sont loin du centre de décision, la langue n’est pas celle du système. 
Blu Attard, le guitariste génial de Moussu T, un plasticien particulièrement expressif. Et pourtant, il reste "en division d'honneur" parce que la musique occitane vous fait intelligent mais vous garde loin du système qui vous permet de gagner correctement votre vie (photo MN)

Le chanteur occitan soumis à quota

Car, lorsque les musiques ne véhiculent pas un texte en français, la catégorisation est encore plus ferme. « On ne passera qu’un chanteur occitan dans une soirée…mais bon sang ! choisit-on de n’y programmer aussi qu’un seul chanteur parisien ? » dira par dérision le compositeur occitan.
 
Le public, les groupes occitans se le sont créés. De stage en stage, Manu Théron a essaimé d’autres chœurs et du goût pour cette musique. Le Massilia Sound Systèm, en diffusant l’idée que le « centre est là où tu te trouves », a entraîné une « chourmo », un ensemble d’auditeurs conscients qu’on ne peut réduire au statut de « fans ».
 
Camille Martel, du groupe Doctors de Trobar, parlera, lui, au cours du débat, du rôle des réseaux sociaux. Grand animateur de ceux-ci, il y accroche plus surement un public virtuel que tous les CD que le groupe pourra graver, « mais qu’on nous fait miroiter comme devant assurer notre fortune ! ».
 
Créateurs de musiques, créateurs de futures traditions, le musicien occitan est aussi créateur de son public. Que celui-ci dure et se renouvelle se conçoit. Il fallait assister au concert d’après débat pour le comprendre. Que du plaisir.
Le musicien occitan doit créer son label, son tourneur, et même son public...ici les jeunes d'Aisone (Vau Stura), la "chourmo" du Seriol à Marseille (photo MN)

 
*débat organisé aux Docks de Marseille, par l’association Salabrum, Manivette Records, le Journal Aquò d’Aquí, l’association Latissimo et l'Ostau dau País Marselhès.

Mercredi 9 Avril 2014
Michel Neumuller