Joan-Glaudi Puech a “besoin du monde pour écrire”

Confinats sens èstre esconfits


MENERBES. L'auteur de Flors Paganas le pense depuis longtemps, notre monde va trop de travers, humainement parlant, pour ne pas s'écrouler. Sur les chemins du village, contre une murette de pierre, il se demande comment la littérature accompagnera la mort du rêve des inconditionnels de la croissance.



"Lo barri" la vue inspirante des promenades du confinement (Photo JCP DR)

“Je suis un privilégié, je peux sortir au soleil, prendre les chemins de campagne”...le reste doit être dit discrètement, en occitan, car la maréchaussée rédige ses PV en français et n’a pas à savoir que “se vòli, un còp l’ora de passejada acabada, pòdi tornar a l’ostau e me faire un autre papafar...”

 

Joan-Glaudi Puech n'est pourtant jamais qu'un privilégié appointé comme instituteur, seul salaire de la famille, et ne disposant pas de jardin. Toutefois l’écrivain, l’auteur des Filhas de Sion et de ce Flors paganas dont nous parlerons, a reçu le coup de fil d’un voisin mieux loti : “l’homme d’affaires a du rester aux USA, et je peux entrer sur son terrain à loisirs durant le confinement ; pour réfléchir, pour me détendre c’est bien. Pour penser mon prochain livre, bien moins ! J’ai besoin d’être dans la société, de vivre dans le monde, de partager la vie des autres, sans quoi écrire perd son sens”.

 

Joan-Glaudi vit encore dans l'est du Vaucluse, où il enseigne depuis vingt ans, là où la campagne se gentrifie à toute vitesse : “pour le moment c’est un mélange, des gens de la terre qui portent la culture du pays, même si je n’en trouve plus même dix pour parler provençal, et puis des riches qui viennent acheter ici...Je n’ai pas d’illusions, il se passera ce qu’il s’est passé ailleurs, les seconds l’emporteront, les autres n’auront plus les moyens de rester, en tout cas pas de s’installer”.


Enric Damofli et Marie-Thérèse Hermitte pour parrain et marraine en lenga d'oc

Héraklès traversant la Crau protégé des géants par le caillassage des aigles de Zeus, vu par Enric Damofli - détail (photo MN)

Lui repars. A l’automne il redeviendra Cantalien. Une maison à remonter, une famille à soigner, une sérénité à protéger l'y conduisent.  Mais Joan-Glaudi avait voulu de cette Provence, a eu la volonté de s’y intégrer, à tel point qu’il en a acquis la langue, l’enseigne, et l’écrit en vue de la publier.

 

Tout a commencé à Martigues, son premier point de chute, dans une HLM. Là, parmi ses maîtres il y a eu Enric Damòfli, lui même enseignant, occitaniste, et plasticien passionné de la mythologie provençale qu’il a traduit sur toile avec malice. Hélas le maître, si modeste qu’il choisit comme pseudo “Un de mai”, a brutalement disparu voici vingt ans. Martigues a donné son nom à une école élémentaire du réseau des Centres d’Apprentissage Continu de la Langue Régionale; chaque enfant y apprend le provençal trois heures par semaine, et y fait du provençal dans une autre matière durant également trois heures.

 

Il se souvient également de la bienveillance de Maria-Terèsa Hermitte, elle aussi décédée au début du siècle. “Il m’ont transmis le virus du provençal, bien apte à vous aider à vivre celui-là, et à l’époque, l’Education Nationale nous formait durant un mois de stage. Un mois ! Ce serait inenvisageable aujourd’hui.” Mais quel élan pour ces jeunes maîtres qui, depuis, se sont révélés des pédagogues investis dans trente écoles des Bouches-du-Rhône, avant...avant que, osons le dire, l’Education Nationale ne se mette à régenter cela avec le même esprit d’économie gestionnaire étroit que le ministère de la Santé, dans un autre domaine...

 


Sans société comment écrire ?

L'univers de l'écrivain (photo JCP DR)

Joan-Glaudi s’est nourri, durant toutes ces années post-Martégales, des gens de son nouveau pays, le Luberon d’entre Goult et Lacoste. C’est là qu’il a imaginé son œuvre. L’auteur de Una pèire e un tamborin, des Filhas de Sion et du récent Flors Paganas a du mal à penser à son prochain opus. Pour cela, il faut que cesse le confinement et qu’il puisse à nouveau se mêler au monde.

 

Mais il sait qu’il n’a pas tari le flot des anecdotes morales, des caractères et des situations qui lui donneront la matière d’une suite aux Flors Paganas.

 

L’ouvrage est né d’une distinction. La Vall d’Aran lui a décerné son prix annuel, L’Institut d’Estudis Occitans des Alpes-Maritimes lui a proposé de l’éditer. L’IEO 06 a une activité éditoriale qui dépasse bien largement le seul domaine du niçois. Jean-Pierre Baquié et l’équipe avancent discrètement, mais efficacement. Elle a publié déjà des auteurs internationalement reconnus, comme la jeune Estonienne Sofi Oksanen, ou des talents incontestables comme celui de la provençale Magali Bizot-Dargent, personne, parmi les auteur(e)s ne s’est encore plaint d’avoir été maltraité, et la chourmo niçoise inspire confiance.

Le Luberonais Joan-Glaudi Puech lui a donc livré le manuscrit de ces chroniques morales, souvent douces amères, contempteuses des bourgeois et arlèris qui font “le fier”, mais bienveillantes pour les handicapés ou des gens “à côté” dont le grand cœur devrait leur éviter la solitude si l’Humanité était humaine, des amours pudiquement avoués, des obsessions d’une vie, des secrets remords, des gens qui faiblissent avec l’âge.

Pour lui l'humain le plus faible diffuse la force d'aimer ; la société, elle, est incontinente. Tous ses produits de consommation et toutes ses modes n'y changent rien.

 


Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître...

L'écrivain en temps de décroissance forcée (photo JCP DR)

Il y aura donc une suite. Elle sera probablement écrite, dans une maison retapée du Cantal, mais toujours en provençal. Joan-Glaudi y tient. Mais il doit s’adapter, et pas seulement au climat montagnard, mais aussi à l’effondrement qu’il pressent. Celui de la société comme nous l’avons connue.

 

“Cela arrive plus vite que je ne le prévoyais dans Lei Filhas de Sion”. Ses lecteurs savaient déjà que notre société peut s’écrouler. Et ce n’est pas vraiment un mal. Mais que deviendront les rêves de cette société, aujourd’hui entrée par force en décroissance ? Par quoi seront-ils remplacés ? Et l’auteur de Flors Paganas de rappeler les mots de Gramsci, glaçants : “le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres”.

 

Lui, son rêve sociétal se rapproche de celui de ceux qui ont fondé les ZAD (zones à défendre), de Notre-Dame des Landes ou d’ailleurs. Mais il “ne voit pas encore le monde de l’écriture chercher à dire ce qui se passe, cette transition difficile, dangereuse, mais porteuse de rêve collectif”. Pour nous parler de son confinement, il a hésité. “Je lis parfois ce qu’écrivent les auteurs, leurs blogs ou autres, mais le nombrilisme, cette façon d’étaler la nostagie de l’avant, tout cela aujourd’hui me semble indécent”.

 

Joan-Glaudi Puech lui aspire à une vie plus simple, plus collective, dans laquelle on accorderait plus de temps à soi et aux autres, moins à réussir et consommer.

 

Cette vie, qu’il construit avec simplicité, mais dans une difficulté que tous ne connaissent pas, enfantera d’autres œuvres ; elles nous rappelleront qu’il existe une littérature étrangère au cynisme. Ne passez pas à côté.


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Lundi 20 Avril 2020
Michel Neumuller