Joan Fléchet, colporteur à la caméra de bois


Le cinéaste publie ses mémoires, sous forme d'entretien. Philippe Lignères pose les bonnes questions, et Fléchet déplie la toile d'une vie et d'un art du cinéma différent. Précieux témoignage d'un orsalher du 16 mm !



Qui a entendu parler Jean Fléchet de lui-même ? Cet homme-là, n'a jamais causé, avec douceur, que de cinéma, du sien certainement, toutefois sans fierté particulière. Mais avec joie certainement. Comme on raconte une belle fête.

Auteur du premier film marocain de langue arabe

Joan Fléchet avec Andrieu Abbe, à Aix en 2013 (photo MN)
Risquons le terme de cinéma rabelaisien (ou Brueyssien, s’il est permis d’inventer le terme) pour cette longue série de courts métrages sur les fêtes en Occitanie, ou même ce récit d’initiation qui aurait dû trouver suite, l’Orsalher.
 
Jean Fléchet, un homme discret, le cinéaste de quelques œuvres en provençal ? Quand j’ai brièvement tenté de devenir preneur de son, à l’époque de l’Orsalher, le documentariste très fier de lui qui m’employait au tarif d’une part de pizza par jour, m’avait lâché un jugement lapidaire : « Fléchet ? Plus un animateur qu’un cinéaste ! » Qu’en savait-il, lui qui maîtrisait plus l’entregent que le montage ?
 
Eh ! bien le discret Jean Fléchet avait une histoire, mouvementée, curieuse, traversant celle de l’histoire du cinoche français, et plus, depuis la Libération. Jeune délinquant à mi-temps, déserteur (comme Truffaut !), il épouse une demoiselle de la famille Terzieff (la sœur du Laurent), part au Maroc, où il tourne le premier long métrage de fiction marocain, en langue arabe : Brahim ou le collier de beignets (1957). Il travaille ou croise les personnages qui font le cinéma de ce temps essentiel, derrière la caméra ou la table de montage.
 
Cet ancien militaire de circonstance se politise à l’heure de la guerre d’Algérie, à l’exact inverse de ce qu’on aurait attendu. Il sera toujours du côté des libertaires, et de ceux qui affirment leur joie de vivre dans leur culture. Installé en Provence il rencontre l’homme de théâtre Pau Marquion. Une rencontre décisive, puisqu’il décide alors de tourner en occitan, langue qu’il ne parlera jamais pourtant que peu.

De l'école française du cinéma à l'actualité de village et au film occitan

Sorti en 1984, on y voit notamment Leon Cordes et Marcel Amont
Et oui, l’ancien élève de l’Idhec  créera Técimeoc afin de faire vivre le ciné d’oc, attirer des talents, et le public. Animateur de la vie cinéphilique occitane de Provence, certes, mais cinéaste avant tout.
 
La filmographie de Jean Fléchet, « Joan », est longue comme un jour sans pain. Et c’est toute la gloire de Philippe Lignères, d’en rendre compte dans un ouvrage publié en octobre dernier, « Colportage ». Lignères lui-même cinéaste, avait eu un choc joyeux en découvrant L’Orsalher, en 1984. Il pose les bonnes questions à Joan Fléchet dans cet ouvrage essentiel sur le cinéma, heureux, d’un monsieur aujourd’hui rangé des caméras, à quatre-vingt-neuf-ans, dont la mémoire et la vivacité d’esprit feront le bonheur des lecteurs.
 
Ah ! L’Orsalher, cette histoire bien fichue d’un cadet qui doit renoncer à la terre, et capture un ours pour vivre, traverse le pays en multipliant les expériences. On y rencontre Marcel Amont, dans le rôle d’un colporteur, et Léon Cordes, dans celui d’un patriarche paysan, avec d’autres qui auront participé à leur plus belle aventure. Celle d’un cinéma qui parle croquant.
 
Elle aurait dû être suivie de nouveaux longs métrages, dans le cadre d’un projet de cinéma occitan, consacrés aux métiers de la communication. Seuls les scénarios restent, l’argent a manqué, comme toujours, pour le cinéma différent.
 
Joan Fléchet a été essentiel au cinéma d’expression occitane. Mais cette part essentielle de son art et de sa vie est loin d’être la seule. Ce qui est émouvant, en particulier, c’est de se rendre compte dans son récit, à quel point la débrouillardise, l’art de positiver les contraintes, de trouver les bons alliés, de persévérer pour mener à bien son film, compte dans ce monde du cinéma combatif, toujours en manque de moyens, jamais de fins…
 
Colportage se lit comme une superbe aventure de la débrouille et de l’art de saisir les hasards. Il témoigne aussi d’une manière différente de risquer un cinéma de pays. Fléchet fit en effet de l’actualité locale, en indépendant, et pour le public des cafés de villages. La télévision n’était pas encore entrée en masse dans les foyers.
 
Colportage - conversations entre Philippe Lignères et Jean Fléchet, 160 pages, ill. 12€ commandes à Flims verts Colportage – La Tissote – 84430 Mondragon.

Voir aussi Cep d'Oc

Mardi 12 Décembre 2017
Michel Neumuller