Gérard Tautil : avec la toponymie l’humanisme s’oppose au « roman national »


BRIGNOLES; Au lycée Raynouard, le fouilleur d’histoire a déployé l’univers de faux-amis, de joies d’enquêteur et de découvreur d’histoire locale, pour un public qui s’intéresse tout à la fois à son territoire, à la science et à la langue d’oc.



Les cartes actuelles gardent encore la trace de l’ignorance des géographes qui notèrent les noms des lieux sans rien savoir de la langue commune des croquants. « On connait un « Iésaipas », parce qu’une personne, ne sachant répondre aux enquêteurs, avait répondu : « Ieu sai pas » (moi je sais pas) ».

Gérard Tautil, l’auteur de La toponymie de Signe (83) divulgue ce double message dans ses conférences : « En nous aidant à mieux comprendre notre territoire, la toponymie nous fait mieux nous-mêmes dans un monde où la diversité culturelle et menacée…Mais les faux amis sont nombreux, et c’est une école de la rigueur et de la curiosité », deux valeurs qui sont à l’opposé de ces histoires reconstruites en « roman national », lui destiné à créer au forceps une identité uniforme. « Nos ancêtres les Gaulois » en est l’exemple Roi.
 
Au lycée Raynouard de Brignoles (83), le professeur d’italien Reinat Toscano n’est pas mécontent. Ce Niçois, écrivain de langue d’oc, vient de réussir, Oh ! modestement, le retour de l’occitan dans le cursus de l’établissement. Et ce 17 mai, autour des quatre premiers élèves motivés, une cinquantaine d’autres sont venus entendre Gérard Tautil, leur parler des noms de lieux du pays, de leur signification, des chausse-trapes nombreuses qui parsèment le chemin de qui veut savoir.
 
« Le nom de lieu se réfère, essentiellement, à deux préoccupations majeures des populations qui nous ont précédé : l’eau et le relief, boire et s’abriter ! » D’òu cette profusion de mots, sur nos cartes IGN, qui disent le promontoire, le rocher, la cavité : « forn » pour Six Fours, « leb », « cro », ou le « cant » …de Canto Cigalo ( !), le « mer » de Chante Merle….

Faux amis et chausses trappes

D’où aussi cette kyrielle de mots pour dire l’eau dans toutes ses manifestations : « Molières » (résurgence), « gab » ou « bron », d’où tire son nom Brignoles., sans compter les nombreux « fangas » (lieu boueux) qui parsèment notre Provence et nous viennent, eux, de l’occitan en ligne directe.
 
Dans sa « Toponymie de Signes », Gérard Tautil développe ce discours : « depuis très longtemps des populations aux langues très différentes se sont succédées en Provence comme ailleurs, et ont imposé le nom qu’ils donnaient à l’eau et au rocher. Bien sûr dans la dernière période, c’est l’occitan qui a été utilisé, mais que voulaient ignorer les géographes. »
 
Celui-là doit se montrer circonspect car les faux-amis sont légion. Cette « croupatière », fréquente sur nos cartes, n’a jamais vu de corbeau (cropatàs en occitan), mais sa racine « cro » dit qu’il y a ici un rocher.
 
Dans la difficulté de l’enquête et la connaissance qu’acquiert le toponymiste, dira Gérard Tautil, il y a un humanisme. « Il nous garantit contre le discours simpliste sur les origines, éclaire notre compréhension de l’histoire qu’il devient alors plus difficile de fausser » par idéologie.
 
Un discours que ne renierait pas le professeur d’histoire-géographie qui  proposait à ses élèves d’assister à la conférence de Gérard Tautil
Un public intéressé par l'histoire, la science, et le patrimoine local (photo MN)

Jeudi 24 Mai 2018
Michel Neumuller