Frédéric Mistral : fédéraliste constant mais sans clairvoyance politique


MAILLANE / STOCKOLM. De gauche puis de droite, antidreyfusard mal à l’aise, ménageant ses amis socialisants, royaliste après avoir été démocrate- socialiste sous la Seconde République, le fondateur du Félibrige a trop souvent été accusé de séparatisme et a dû louvoyer dans un monde dont il saisissait mal les mutations. Philippe Martel nous brosse le portrait d’un opportuniste qui soumet tout à l’idée de décentralisation.



Frédéric MIstral par Jean-Baptiste Clément en 1888. Il veut favoriser la décentralisation quelle que soit la situation politique (XDR)
On célèbre aujourd'hui le centenaire de sa disparition. Lexicographe et poète, Mistral reste un mystère politique. Il est libéral de gauche, puis apparaît très à droite. Comment l’expliquer ?
Mistral a toujours été fluctuant, et opportuniste, en matière politique. Il a été manipulé par les uns et les autres, d’autant plus facilement que sa seule vraie ligne directrice aura été de favoriser une politique de décentralisation.

Dans sa jeunesse il pouvait défendre des idées fédéralistes de gauche, à l’échelle de l’Europe, et après 1870 rêver à un retour de la Monarchie qui aurait recréé les anciennes Provinces.
 
Jeune, il est donc de gauche.
Oui, autour de 1848, alors qu’il est étudiant à Aix-en-Provence, Frédéric Mistral milite chez les Démocrates -Socialistes, il essaie de publier un poème qui débute par « réveillez-vous, enfants de la Gironde ! »

Il est pourtant déjà ami de Roumanille, qui est lui très, très, à droite.
 
Il le reste jusqu’à la fin du second Empire ?
Dès avant, la gauche le déçoit. L’ex-félibre Eugène Garcin l’accuse en 1868 d’avoir partie liée avec l’étranger, car il est lié avec les Catalans.

En vérité, Garcin et ses amis « néo-jacobins » comme ils se dénomment essaient à travers Mistral de porter des coups à l’aile fédéraliste des Républicains. On le manipule, il est accusé de séparatisme, il ne perçoit pas l’arrière- plan et les enjeux, et l’idée républicaine , dès lors, le déçoit.

En 1871 le Manifeste du comte de Chambord pouvait séduire Mistral. Il promettait un pouvoir aux Régions : "Dieu aidant, nous fonderons ensemble et quand vous le voudrez, sur les larges assises de la décentralisation administrative et des franchises locales, un gouvernement conforme aux besoins réels du pays." (XDR)
Est-ce pourquoi il n’apparaitra pas comme un opposant à Napoléon III ?
Il se rallie à l’Empire en 1869 parce qu’il pense sincèrement qu’Emile Ollivier décentralisera la France. Il sera là aussi déçu.
 
Arrive la défaite de l’Empire, la Commune. Qu’est-ce qui en fait alors un conservateur ?
La Commune a dû faire peur au bourgeois agraire qu’il est, mais ce n’est pas tout. Avec la défaite de 1870, Frédéric Mistral doit comprendre que l’idée fédéraliste européenne n’est plus à l’ordre du jour dans une France où l’opinion devient nationaliste et revancharde.

Le terme « national » qui chez lui pouvait vouloir dire « provençal », ne signifiera dès lors plus que « français ». Il se demande toutefois comment rester audible dans cette France-là. Et il soutient le nouveau pouvoir, qui est pro-monarchiste dans un régime républicain !

A cette époque, les Félibres organisent des concours de cantiques, c’est à ce moment-là qu’on compose « Prouvençau e catouli ». Et Mistral espère que le Comte de Chambord, destiné à devenir Henri V, rétablira les Provinces de l’ancien Royaume.

Mais en 1876 les élections législatives envoient à la Chambre une majorité républicaine, c’est fini pour le monarchisme.
Quand il devient évident que la République va durer, Frédéric Mistral change encore une fois son fusil d’épaule. Il essaie d’effacer tout souvenir de ses engagements précédents, il s’affirme très pro-français, tout en développant l’idée latine.

A Montpellier en 1878, il lance le projet d’une fédération latine face au péril prussien. Vis-à-vis de l’opinion française c’est habile, car il s’affranchit, pense-t-il, des critiques de séparatisme.
 
Et ça marche ?  Il retrouve une virginité politique ?
Non, car l’année suivante, la gauche centralisatrice, qui elle n’a pas oublié, remet ça.

Son attachement aux Provinces lui vaut des critiques. On l’accuse d’en tenir pour la Restauration. Mais là encore, il est un simple moyen de s’en prendre à la France monarchiste.

Mistral est un maillon faible. Toutefois, pas plus que les fois précédentes, il ne comprend qu’il est un simple prétexte dans des affrontements politiques qui le dépassent.

Le socio-linguiste Philippe Martel : "Mistral n'a pas compris qu'il servait de prétexte dans des affrontements politiques qui le dépassaient" (photo MN)
Au fond il a affirmé de la constance : fédéraliste quelle que soit la situation politique.
Il soutient toute idée qui vise à la décentralisation ou au fédéralisme. Mais il ne semble pas voir les autres enjeux des forces politiques auxquelles il se rallie.

Il adhère ainsi  à la Ligue de la Patrie Française à la fin du XIXè siècle, qui est anti dreyfusarde. Et il le regrettera. Puis, encore une fois, il cherchera à faire oublier cet engagement là. Hélas, c’est ce fait que retiennent de lui les manuels d’histoire universitaires.
 
On le dit tout de même attaché aux idées de Maurras. Celui-ci l’aura-t-il influencé ?
Non, Mistral a 38 ans quand Maurras naît. C’est un gamin quand Frédéric Mistral développe son action. On ne peut dire que Mistral est le disciple de son cadet.
 
Par ailleurs, il n’a jamais rompu avec ses amis, qui sont parfois très à gauche. Pourquoi ?
C’est encore un domaine dans lequel la recherche pourrait faire des progrès. Mistral publiera en hommage à Paul Arène, dans l’Aïoli, des lettres que ce dernier lui écrivit du temps de la Commune.

Dans ces courriers, Arène tente de convaincre Mistral que la Commune est le ferment du Fédéralisme moderne. Mistral aurait pu choisir d’autres lettres, mais c’est celles-là qu’il publie.
 
Et puis il y a sa correspondance avec Louis Xavier de Ricard. Communard exilé, celui-ci découvre le Félibrige, et publie un ouvrage sur le Fédéralisme en 1877.

Il propose ses idées sociales à Mistral qui, à cette époque ne l’entend pas. Mais hélas nous ne disposons pas des réponses de Mistral, qui nous auraient éclairés.

En 1904 le prix Nobel de littérature lui est décerné. Or, il y a un ordre de passage, on ne décerne pas deux années de suite le prix à deux écrivains d’une même nationalité. Tout ceci est assez politique, pourquoi la France n’a-t-elle pas contrecarré cette candidature ?

Il n’y a pas d’enjeu véritable en fait à cette époque. Le prix Nobel de littérature est tout jeune, il a été créé en 1900.

En 1901 on préfère Sully Prudhomme à Mistral, dont le nom est déjà prononcé, mais parce que le Jury Nobel demande à l’Académie Française de proposer un nom…Et celle-ci désigne son doyen.

Mistral devra attendre 1904. Certes ce sont des Allemands ses plus fermes partisans, mais je ne crois pas qu’il faille y voir malice. Edouard Koschwitz, qui veut le promouvoir, est tout simplement l’auteur de la première édition critique - en français ( !) de Mirèio.

Ceci dit, c’est l’œuvre lexicographique de Mistral, et non littéraire, que le Nobel récompensera. 

Philippe Martel est l'auteur d'une thèse sur Les Félibres et leur Temps.

Mardi 18 Mars 2014
Michel Neumuller