Ce que peut la volonté


Au cœur des Pyrénées, ce dimanche, et pour la 32 ème fois Catalans et Occitans ont renouvelé les gestes de fraternité, qui se rient des frontières politiques.



Au fond, et selon les critères habituels des Etats contemporains et du monde global, rien ne prédispose Occitans et Catalans à rechercher sans relâche l’occasion d’affirmer une fraternité qui ne va pas tant de soi.


Rien vraiment ne relie ces deux entités, sinon une langue cousine proche et surtout le sentiment de constituer un ensemble dans la longue histoire du sud de l'Europe.

Voyez au Nord des Pays Catalans...Le nom de la Région “Occitanie” a profondément blessé les Catalans, niés par l’appellation. Les lois et règlements sont...Espagnols ici, Français là. L’économie dynamique du Sud n’a pas grand chose de commun ni de relation durable et profonde avec la pétrochimie et la micro électronique provençale et pas plus avec l’aéronautique toulousaine ; et la culture chez nos voisins se décline dans la langue du pays, alors que chez nous le premier problème vécu reste le désintérêt, voire l’hostilité des régionaux vis à vis de leur langue historique, c’est à dire du véhicule théoriquement majeur de leur identité…

 

Pourtant encore dimanche, au cœur des Pyrénées, à Port de Salau, les cortèges venus et de l’adret catalan, et de l’ubac occitan, ont à nouveau dit, mains jointes dans un cercle fraternel, que les deux entités nationales et culturelles se veulent unies, sinon indissociables.

 

Il s’agit d’un triomphe pur des volontés humaines, qui souhaitent abolir une frontière. A l’heure des nationalismes étatiques étroits et clos, triomphants malgré – et sans doute à cause – du mondialisme économique, ces mains jointes a 2000 m d’altitude devraient faire exemple. Là résident, dans l’effort et la recherche les liens, les valeurs de l’Europe, que les Etats Européens eux-même ne cessent de balayer sous le tapis.

 

La langue bien entendu, nous relie à nos frères et à nos sœurs (non, nous ne devons pas avoir peur du mot, car nous fondons une famille) Catalan.e.s. Toutes celles et ceux qui, ainsi que votre serviteur, veulent faire l’effort de parler l’autre, y gagnent des relations d’amitiés incomparables.

Nous nous fréquentons depuis longtemps, la soi-disant frontière n’est que politique. J’ai même une théorie selon laquelle la petite enxaneta, la fillette qui couvre un castell humain, viendrait du limousin “enjaneta”. Victor Balaguer accueilli par les Félibres, ou les intellectuels chassés par le franquisme et soutenus en Provence, ne sont pas la cause de cette proximité, ils en sont déjà la conséquence. 


Et puis notre destin commun de nation niée, à la langue dont l’expression est contrariée par les mêmes Etats, nous donne ce sentiment de devoir nous serrer les coudes face à ces monstres étatiques qui écrasent tout ce qui ne relève pas de leur idéologie.

 

Ah ! Encore une fois, les Occitans, à force d’intégrer la négation de leur culture, de leur langue d’abord, sont le premier adversaire de l’Occitanie. Mais chaque effort en sens inverse est contrecarré sans appel par l’Etat, mais aussi par l’ensemble des Institutions. Voyez le Département du Vaucluse qui, pour – officiellement – se garder d’hypothétiques risques juridiques, fait enlever les panneaux d’entrée de ville rédigés en provençal !

 

Après le monument à Walter Benjamin est-ce mieux ? Au moins les Catalans sont fiers de leur langue, et la défendent avec succès. Mais encore la semaine passée a l’aéroport de Palma, une employée à été condamnée à 200 000 euros d’amende, pour le simple fait de s’adresser à un garde civil en catalan, langue officielle des Iles Baléares. Le garde, dépendant de l’Etat mais vivant là, ne pouvait pas ne pas comprendre ce qu’elle disait. Mais voilà, les aéroports sont sous l’autorité de l’Etat Espagnol, et c’est pour manquement aux règles de sécurité qu’un juge bien peu neutre, a condamné l’employée.

 

Nos Etats sont totalitaires par essence. Non pas qu’ils agissent hors de la démocratie formelle, mais ils cherchent eux aussi sans relâche à faire que tout leur soit soumis : leur langue officielle doit s’imposer malgré tout, et partout. Ils ne supportent pas le contre-pouvoir et entendent régir tout, bien qu’en même temps ils privatisent tout…

 

Alors à Port de Salau, les centaines de participants de cette 32 è retrouvaille ont renouvelé cette manifestation de fraternité, qui se passe de raisons “raisonnables”.

 

Une manifestation pure de la volonté des peuples, qui ressentent leur gémellité historique, et, probablement, sentent confusément que, hors des cadres étatiques qui imposent leur propre roman historique, ils ont un avenir à partager, sans contrainte.

Photo Caoc DR

Lundi 5 Aout 2019
Michel Neumuller