Broves, village sacrifié pour l'Armée... ou pour rien


En 1974 l'Etat expulse les habitants de ce village varois pour faire place au camp militaire de Canjuers... qui n'en aura pas d'utilité. Les vies sacrifiées, à tout le moins perturbées, se racontent, en provençal comme en français, pour le micro de Didier Mir. Son ouvrage est plus qu'utile, nécessaire.



Broves après 1974 (photo Didier Mir DR)

A Draguignan il a parlé devant les élèves du cours de provençal qu’assure Joan-Luc Domenge; à Carnoules il a fait la fête avec de nombreux acteurs culturels d’oc, et à Aix-en-Provence, mardi 30 mai Daidièr Mir a clôt le cycle des présentations de son dernier ouvrage, Leis inaudibles…

 

Le titre dit tout : que ce soit en provençal ou en français, selon qui a témoigné pour l’artiste et écrivain; il a écouté les proscrits de Broves (Bròve), ce village dont la centaine d’habitants fut, le six juin 1974, expulsés par la police, afin de faire place à l’Armée.

 

« Tout le monde connaît le Larzac, et Bròve reste une histoire méconnue alors que le camp militaire de Canjuers, qui a justifié son effacement, est bien plus vaste… et pourtant n’a jamais utilisé le village » si ce n’est au début pour quelques exercices de combats urbains.

 

Décidée en 1964 la création du camp de Canjuers, dans le Haut Var, devait s’accompagner de l’évacuation du village de Broves, carrefour connu des transhumances. Mais celle-ci n’intervint que dix ans plus tard… les habitants auraient pu croire finalement que leur départ n’était plus d’actualité. Erreur ! En trois jour les habitants furent priés de plier bagages, et le six juin 1974, les cars de police étaient là pour s’en assurer. Les indemnisations furent une belle arnaque, et les relogements restèrent théoriques. L’État tenait la ruralité pour rien, et sans une mobilisation digne du Larzac, il était vain d’espérer un abandon du projet de camp d’entraînement, en particulier de l’artillerie.


Le mari d'Alix avait fait 14-18, son fils était mort au front en 1940, la France l'envoya pourtant en maison de retraite sans autre forme de procès

Didier Mir, artiste autant que collecteur, illustre son ouvrage avec ses propres œuvres : ici des gravures sur cuivre : Gaston Beltrame et le village déserté (photo MN)

Daidièr Mir a interrogé tous les gens de Broves qui ont bien voulu parler pour son micro, et plus d’un l’a fait dans la langue du pays. A l’image de « Lileta », Liliane Brun-Montaland, vingt ans lors de l’expulsion, qui plus tard créera l’Association des Anciens et Amis de Broves. « A l’arribada… ai vist mei gents que ploravan plegant sei paquets au lume dei candèlas, que li avián copadas l’electricitat e l’aiga…. Era un balèti de camions, de tractors, de camions militaris, de gendarmas… Lei paurei vièlhs que vivián solets coma Juli Fabre, Alix Garièl foguèron menats a l’ospici de Selhan per l’i acabar sa vida. Alix èra veuse, son òme èra pas jamai tornat de gèrra de 14, son fiu èra mòrt a la guèrra de 40, e ara, èra l’armada francesa que la garçava defòra sensa que sachèsse ont anar ».

 

Le drame inspirera à Gaston Beltrame (1932-1989) sa pièce Lo darrier moton, et Daidièr Mir interroge dans ce livre les acteurs de ce projet de théâtre en occitan, dont la chanteuse occitane et animatrice de télévision Miquèla Bramerie, et l’écrivaine et chanteuse Magali Bizot-Dargent, qui a quatorze ans, manifesta contre le projet à Comps, en 1963.


Le monde rural n'avait qu'a se taire et subir... La conception qu'en a l'Etat a-t-elle changé ?

Le vécu terrible des expulsés dont la communauté villageoise est effacée pour raison d’État aura une voix, et elle sera occitane. Lo darrier moton, de Beltrame, c’est le poète Joan-Ives Roier qui en parlera longuement à Daidièr Mir, et toujours en occitan. Il était alors conscrit, et le récit qu’il fait d’une solidarité simple et efficace avec les pastres empêchés par les barbelés vaut la peine. «  quand ei venguda la fin d’aquesta jornada, isam anats au potz per se lavar lei mans, e quand es estat lo moment de partir, ai levat lei barbelats e lo tropèu posquèt continuar son camin vèrs la montanha ».

 

L’affaire de Broves eût été une illustration parfaite du « colonialisme intérieur » qu’analysait et dénonçait Robert Lafont. Un demi-siècle après les évènements il nous interroge encore sur la place que le pays réserve à sa ruralité : variable d’ajustement des politiques d’aménagement, ou fondement de notre société qui oublie son histoire et ses valeurs ?

A Carnoules la soirée organisée pour la présentation du livre fut une véritable fête occitane rurale (photo Patricia Jouve DR)

Leis inaudibles / Les inaudibles - Daidièr Mir, ed. Edite-moi!  244 p. ill. 20€
Nous vous recommandons de le commander auprès de votre libraire afin d'éviter les frais de port

Vendredi 2 Juin 2023
Michel Neumuller