Après Nice une politique des cohésions


Tout a été vu et continue d’être vu de Paris, loin du ressenti et de la réalité du terrain, celui d’une société des cloisons. Et dans les circonstances actuelles, cela ne peut durer. La politique doit reprendre ses droits face à la posture.



Aux élites qui pensent la France, une Tour Eiffel à la place du cerveau, substituons une manière de voir proche de la réalité vécue

Les malheureuses victimes de Nice n’étaient pas encore toutes identifiées que le désormais trop habituel protocole compassionnel d'Etat se mettait en place. Ce mouvement qui allie lamentation de commande et appel à l'unité nationale est hélas rodé. Il camoufle l'absence de politique propre à mieux assurer la sécurité des personnes, et à protéger un mode de vie dans lequel la fête rassemble. 


Dès le lendemain de l'odieux meurtre de masse niçois, les panneaux autoroutiers d'information affichaient, sur le chemin des vacanciers : « liberté, égalité, fraternité ». Voilà des mots dont on cherche la réalité, dans une société où le privilège est valorisé, le droit de manifester contesté, et la ghettoïsation des quartiers un processus continu.

A ce pieux mensonge que se répète la France, on doit ajouter la manière que notre pays a de traiter la réalité du terrain. Ce traitement lui aussi est différencié. Tout événement, en France, continue d'être vu de Paris.

Au soir du 14 juillet, alors que s'achevait la course meurtrière du camionneur niçois « soldat d'EL », minable terroriste incapable de donner du sens à la vie humaine, handicapé de l’altérité, les télévisions françaises relayaient de bien étrange manière le terrible événement.

Ces chaînes délirantes qui confondent répétition en boucle, discours creux omniprésent et actualité en continu, continuaient de diffuser le feu d'artifice parisien avec un bandeau annonçant la tragédie niçoise. Elles n'avaient aucun plan B, parce que leurs programmateurs réfléchissent avec une Tour Eiffel dans le cerveau. Nice ? Ah ! Bon ...qu'importe, on a des images de Paris, alors parlons de Paris en fête. Tant pis pour ce cul de sac de la France où meurent des gens. 

On pouvait attendre mieux de la télévision publique. Ce fut pire. La chaine s'est excusée de son traitement voyeur de l'évènement. Mais ce n'est pas de cela dont il convenait de s'excuser. Mettons-nous à la place de l'équipe disponible en région, sommée de plonger en pleine terreur et d'en rendre compte. Pas de préparation ! Des professionnels dont on attend qu'ils traitent un sujet « détente », et qui sont catapultés sur un terrain d'opérations militaires ! Non, l'excuse attendue c'était celle d'avoir laissé dans l'indigence et soumis aux décisions parisiennes les équipes régionales de télévision, sans autonomie de moyens et de décisions, sans doute sans formations adéquates. 

Comprenons que chez nous, ce type de situation est totalement inédit, et que le traitement du direct est catastrophique. Sauter sur des témoins abasourdis, en besoin d'assistance, pour leur demander de dire ce qu'ils ont vu – ou pas vu – comme l'a fait TF1 au téléphone, révèle à quel point, au malheur de cette soirée terrible il fallait ajouter l'incompréhension du pays, en tout cas de ceux qui prétendent le dire. Ceux-là ne savent que penser un rapport Paris/province, magma régional uniforme, défini par le seul fait de n’être pas le centre.

Que dire du sens opportun des élites régionales, qui dans leur souci de tacler le pouvoir – auquel elles aspirent elles-mêmes – ressortent des demandes toutes fraîches de surarmer des polices faites pour régler des problèmes habituels ? 

Ou, alors que le pays est sous le choc, que penser de ce pouvoir-là, qui continue, nonobstant la situation, de faire passer une loi sur le travail largement abhorrée en France ?

Nous sommes loin de voir ces élites de tout poil se montrer à la hauteur des enjeux. Régionaliser vraiment, ce qu'il faut, où il faut ; estimer vraiment que nous avons besoin de liberté, d'égalité et de fraternité ; et penser une politique sécuritaire adaptée. Loin des gesticulations et des rodomontades.

C’est ce qu’on attendrait d’elles à l’heure de repenser ce pays où la posture remplace la politique, la discussion de la chose publique.

Nous avons besoin de réduire les inégalités, de trouver des cohésions sociales et culturelles dans un pays qui a laissé les cloisons s’élever entre les gens et les groupes humains. 

Après la minute de silence, il sera temps de faire beaucoup de bruit pour abattre ces cloisons.

Mercredi 20 Juillet 2016
Renat Mine