« …Appartient au patrimoine journalistique de la France »


Cruel dilemme ! Ecrire en français sur l’occitan et être compris du plus grand nombre, ou écrire en occitan sur la société et voir restreindre l’audience…mais grandir le sentiment que notre langue est assez respectable pour dire l’actualité. Parlons-en un peu ici.



« Votre article était très bien, mais quel dommage que vous ne l’ayez pas écrit en français ! » La réflexion nous l’entendons plus d’une fois. Un écrivain d’expression occitane que nous apprécions à Aquò d’Aquí nous l’a aussi écrit voici quelques mois, quand nous commentions l’absence d’intérêt du Mucem pour le pays qui l’accueille : « Vous l’écririez en français, vous élargiriez l’audience de ce qui doit être connu du grand public ».

Etre entendus moins largement mais affirmer les raisons pour lesquelles nous devons être entendus, tel est le dilemme

C’était à la fois bienveillant et respectueux ; il nous reconnaissait une voix originale qui méritait d’être mieux entendue. Mais c’était aussi nous exposer à un dilemme ennuyeux ; car la voix originale l’est aussi parce qu’elle exprime des idées en occitan.
 
Et, voici peu, un observateur de la création musicale en Provence, dans une réunion publique, a pu dire qu’à force d’entendre parler de la culture occitane en français il avait fini par considérer que l’occitan était « une langue à chanter, pas une langue à parler ».
 
« Quand quelques personnes parlent entre elles, si l’une d’elles ne parle que français, tous les occitanophones parleront subitement français » a souligné le chanteur Manu Théron, au cours d’une récente émission de Radio-Grenouille. « Et c’est une des raisons qui font que l’occitan meurt » a-t-il ajouté avant que de conclure, malicieux : « c’est ce qui est en train d’arriver au français. Quand une personne ne le parle pas dans un groupe, tout le monde se met à parler en anglais ».
 
Nous le constations en 2012 lors de nombreuses visites de terrain inscrites dans le programme du « Forum mondial de l’eau » ; si 95% du public parlait français, les techniciens s’échinaient à tout dire en anglais. C’était aussi performant qu'inutile.
 
Bref, et nous le disons ici en français, Aquò d’Aquí n’est pas insensible au fait que ses articles soient lus par le plus grand nombre. Mais, fondamentalement, ce journal est là pour aider le plus grand nombre à entrer dans l’univers de la langue occitane en Provence. Sans cela, pourquoi existerait-il, notre journal ?
 
L’idée est que, sans la langue du pays, notre originalité dans le monde s’effacerait vite. Or, Nous contribuons à faire vivre une certaine façon de voir la société et les gens. Avec nos informations, nous diffusons des « valeurs », dirait-on maintenant.
 
On ne pourrait espérer les voir vivre durablement sans la langue qui les a portées jusqu’à notre temps. Convivència, le « vivre-ensemble » qu’on nous ressort comme une nouveauté ; paratge, ce sens de l’honneur qui consiste d’abord à se regarder franchement dans un miroir pour estimer si on a été moralement propre sur soi ; larguesa, ce sens du don qui est à la fois prodigalité, générosité, solidarité, et qui compose si mal avec l’individualisme des sociétés tournées vers le profit de quelques-uns.
 
La langue d’oc dans ce journal fait partie des remèdes préventifs contre la bunkerisation de la société.
 
Si vous ne comprenez pas si bien le provençal écrit, ou ses frères l’alpin d’oc et le niçois, tellement proches, laissez-vous tenter par nos apondons lexicaux, cliquez sur les mots rouges quand votre souris fait apparaître un « ? ». Que ces lignes en occitan vous incitent à apprendre la langue, et à continuer à faire vivre cet état d’esprit particulier, parmi sept milliards et demi d’êtres humains qui n’aiment pas se voir en clones les uns des autres.
 
Après tout, Aquò d’Aquí publie sur internet des articles en occitan (et aussi en français, voire en Italien parfois) à l’attention d’un public de francophones qui peuvent considérer qu’aider à vivre une langue de France, c’est une œuvre qui regarde quelques soixante millions de Français, et non les seuls occitanophones. Reviscolar la lenga nòstra, est une cause nationale. C’est bien le sens de l’article 75.1 de notre Constitution. Le texte fondamental de la République le dit très bien : les langues de France appartiennent au patrimoine de la France, et pas seulement à celui des régions où elles sont parlées. Elles sont aussi un patrimoine de l’Europe, c’est pourquoi la France cherche le moyen de ratifier la Charte Européenne des Langues Régionales.
 
Puisque nous célébrons, ces jours-ci, le centenaire de la disparition de Frédéric Mistral, il n’est pas inutile de rappeler un épisode de sa vie littéraire. Il nous permettra d’illustrer les rapports compliqués entretenus en France par le fait que talent, professionnalisme, innovation, puissent être portés par une langue qui ne serait pas le français.
 
Gaston Boissier, secrétaire perpétuel de l’Académie Française, dut justifier le fait que cette institution puisse décerner le prix Née au poète, au faîte de sa gloire en 1897. Il voulut « diminuer les regrets si légitimes » de voir Mistral écrire autrement qu’en français. Et l’homme de lettres fit cette déclaration qui résonne encore cent dix-sept ans après : « s’il ne nous est pas possible de l’enrôler malgré lui dans la littérature française, il n’en appartient pas moins à la littérature de la France ».
 
Toute modestie bue, Aquò d’Aquí appartient au journalisme de la France. Et il s’écrit largement en occitan. Aquò d’Aquí !

Lundi 31 Mars 2014
Aquò d'Aquí